Critique : The Whaler Boy

Leshka vit dans un village isolé sur le détroit de Béring, situé entre Tchoukotka et l’Alaska et qui divise la Russie de l’Amérique. C’est un adolescent, et comme la plupart des hommes de son village, c’est un chasseur de baleines qui mène une vie très calme à l’extrémité du monde. Avec l’arrivée récente d’Internet dans le village de Leshka, la population majoritairement masculine se rassemble maintenant tous les soirs pour regarder de magnifiques filles à des milliers de kilomètres de là qui dansent sur un site de webcam érotique. Pour la plupart des gars, c’est juste un peu de plaisir, mais Leshka prend tout cela très au sérieux…

The Whaler Boy
Russie, 2020
De Philipp Yuryev

Durée : 1h34

Sortie : –

Note :

ET LÀ-BAS QUELLE HEURE EST-IL ?

Qui se trouve donc de l’autre côté de l’écran ? C’est une question qui peut se poser deux fois dans The Whaler Boy, premier long métrage du Russe Philipp Yuryev – et la réponse est à chaque fois surprenante. Des camgirls, quelque part aux États-Unis, se filment, mais pour qui ? Il y a quelque chose d’incongru à constater que parmi leur public se trouvent ces pêcheurs d’un village de l’absolu bout du monde en Russie. De la même manière, ces garçons du détroit de Béring regardent les filles comme nimbées d’un curieux mystère en se demandant qui elles peuvent bien être. « Il n’y a pas de blonde comme ça au village ». Ce qui pourrait être potache voire un peu scabreux est regardé… avec une étonnante tendresse par Yuryev.

Yuryev semble filmer le plus extrême des no man’s lands, un endroit qui, plus qu’au bout du monde, semble au bord du monde. Et c’est précisément ce que le cinéaste raconte. La vie dans un lieu qui semble se dérouler comme à une autre époque tandis que nous ne sommes même pas le même jour que sur la terre d’en face. Quelle existence attend peut-être le jeune héros là-bas en Amérique ? Yuryev déploie un talent certain pour filmer les vastes étendues désolées. Visuellement majestueux, The Whaler Boy décrit un décor qui est aussi un paysage onirique et sensible. Les lieux semblent emprisonner les personnages, et l’écran où apparaissent les camgirls n’est qu’une petite lucarne. Yuryev fait ressentir ce besoin de liberté en filmant certes les élans et actions de ses personnages, mais aussi en rendant les décors expressifs.

Dans ce patelin où l’électricité tombe sans arrêt en panne, on continue à chasser la baleine, comme hier. Figé dans le passé, cet endroit semble changer d’époque lorsqu’un morceau de Julee Cruise est utilisé en inattendu contrepoint. The Whaler Boy raconte une situation immobile mais qui pourtant palpite. Les flammes au bord d’un feu éclairent les visages mais elles mettent aussi en lumière les émotions des personnages. Leur imaginaire les projette en avant et Yuryev décrit cela avec une vraie grâce.

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par Nicolas Bardot

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