L’année ciné 2018 par ceux qui l’ont faite

C’était une de nos traditions de fin d’année sur FilmDeCulte que nous poursuivons sur Le Polyester : pour la huitième année consécutive, nous avons demandé aux personnalités du cinéma que nous avons interviewées ces 12 derniers mois de nous parler de leur(s) film(s) préféré(s) de 2018. Nous avons à cœur lors de nos entretiens que nos interlocuteurs nous parlent d’eux et de leur cinéma, mais aussi des cinéastes qu’ils aiment et qui nourrissent leurs propres créations. Une quarantaine de personnalités du cinéma évoquent pour nous leurs coups de cœur de l’année, et trois films se détachent au nombre de voix : Touch Me Not de Adina Pintilie, High Life de Claire Denis et Zama de Lucrecia Martel. Trois propositions avec une très forte personnalité, et qui correspondent au cinéma que nous avons envie de défendre sur Le Polyester….

Mia Hansen-Løve, Guy Lodge et Graham Swon

> Mia Hansen-Løve

Je ne trancherai pas entre High Life de Claire Denis et Amanda de Mikhaël Hers, que j’ai vus deux fois déjà. Ce sont les deux films qui me viennent à l’esprit tout de suite.
• Sorti le 19 décembre 2018, Maya est actuellement en salles.

> Guy Lodge

Le meilleur film que j’ai vu en festival en 2018 est High Life de Claire Denis. Cela peut sembler une réponse facile de ma part puisque Claire Denis est ma cinéaste favorite en activité. Mais c’est un nouvel élan palpitant qui applique ses obsessions sensuelles et corporelles à un territoire inexploré du genre, le résultat étant de la science-fiction véritablement radicale, du cinéma de l’au-delà. En ce qui concerne les sorties au cinéma, rien n’a pu égaler Zama de Lucrecia Martel, à la fois pour sa maîtrise formelle et son questionnement politique : à la fois rigoureux et expérimental, Zama est un cauchemar colonial fiévreux, et il résonne d’un bourdonnement aussi fort que celui des insectes qu’on entend tout au long du film. D’autres films qui m’ont stupéfié : Leave No Trace de Debra Granik, Heureux comme Lazzaro de Alice Rohrwacher, A Beautiful Day de Lynne Ramsay, Angelo de Markus Schleinzer et Bisbee ’17 de Robert Greene, un documentaire qui sort du lot grâce à sa structure ingénieuse et son exécution troublante.
• Né à Johannesbourg, Guy Lodge est critique de cinéma et écrit notamment pour Variety.

> Graham Swon

Le Livre d’image de Jean-Luc Godard
High Life de Claire Denis
Hotel by the River de Hong Sangsoo
La Flor de Mariano Llinas
Monrovia, Indiana de Frederick Wiseman
The Guilty de Gustav Möller
Asako I&II de Ryusuke Hamaguchi

Et The Other Side of the Wind d’Orson Welles !
• Le drame horrifique The World is Full of Secrets de l’Américain Graham Swon a fait sa première française dans la compétition du dernier Festival Entrevues Belfort. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits de 2018.

Takayuki Fukata, Marco Dutra et Ru Kuwahata

> Takayuki Fukata

Asako I&II de Ryusuke Hamaguchi. C’est, derrière son histoire d’amour, un grand film sur l’identité. Et il y a une vraie richesse thématique dans ce long métrage.
• Le drame Forgotten Planets du Japonais Takayuki Fukata était en compétition lors du dernier Festival Entrevues Belfort.

> Marco Dutra

Cette année j’ai été très occupé avec le tournage de mon nouveau film, mais le film de cette année que j’ai préféré est Zama de Lucrecia Martel… même si je l’ai vu l’année dernière.
Les Bonnes manières, co-réalisé avec Juliana Rojas, a obtenu le Prix spécial du jury à Locarno l’an dernier puis le Prix du jury à Gérardmer, avant de sortir sur nos écrans le 21 mars 2018.

> Ru Kuwahata

Agua Viva de Alexa Lim Haas. J’adore l’écriture et sa sensibilité. Je n’arrête pas de penser à ce film qui a touché à quelque chose de particulier en mon cœur.

La Chute de Boris Labbe. A chaque fois que je le regarde, j’ai l’impression d’être aspiré de plus en plus loin dans son monde.
• La Japonaise Ru Kuwahata a été nommée à l’Oscar du meilleur court métrage d’animation pour Negative Space qu’elle a co-réalisé avec Max Porter.

Katharina Mückstein, Charlotte Serrand et Tereza Nvotova

> Katharina Mückstein

J’ai beaucoup aimé le film suédois Amateurs de Gabriela Pichler et le film germano-autrichien Styx de Wolfgang Fischer.
• Le drame sentimental L’Animale de l’Autrichienne Katharina Mückstein, après une sélection à la Berlinale, a fait sa première française à la Roche-sur-Yon et figure actuellement dans la compétition en ligne d’Artekino.

> Charlotte Serrand

de Johann Lurf, Roma de Alfonso Cuarón, Profile de Timur Bekmambetov, Roi Soleil d’Albert Serra, L’Animale de Katharina Mückstein, La Favorite de Yórgos Lánthimos, Touch Me Not d’Adina Pintilie, A Star is Born de Bradley Cooper, La Forme de l’eau de Guillermo del Toro, Assassination Nation de Sam Levinson, What You Gonna Do When the World’s on Fire de Roberto Minervini.

Bonus chanson
Picture Cards Can’t Picture You de Blaze Foley (dans Blaze de Ethan Hawke).

Quelques mots sur Roi Soleil par Albert Serra:
« À l’origine du film il y a la performance à Lisbonne, qui a duré 8 jours, et que j’ai entièrement filmée, accumulant plus de 30 heures de rushes avec une caméra. Au montage, je me suis alors ensuite rendu compte qu’avec la caméra une perspective que je ne voyais pas dans la performance s’ouvrait. La caméra, elle, ne se fatigue pas, elle ne pense pas à d’autres choses, elle n’écoute pas le son, elle ne tient pas en compte l’atmosphère: alors c’est très naturel qu’elle puisse révéler des choses qui sont invisibles à l’œil humain. Un peu par hasard j’ai commencé à voir les images, à voir des choses que je n’avais pas vues lors de la performance. Le film est devenu la justification de montrer des choses qui sinon seraient invisibles. Pour la première fois dans le film, l’acteur est seul, il ne reçoit aucune indication de moi. On est dans l’isolation. Ou le théâtre. Il y a une pureté dans ce film. On se concentre uniquement là. Il n’y a aucune autre perspective. Aucune direction. Il s’agit de vivre un moment unique. C’est le sens de la performance, et c’est mon obsession dans tous mes films. Tout arrive par la grâce ».
• La Française Charlotte Serrand a réalisé son premier long métrage, 1048 lunes. Elle figure dans notre dossier des jeunes réalisatrices à suivre. Elle est par ailleurs directrice artistique adjointe du Festival de la Roche-sur-Yon et sera conseillère de programmation dès la prochaine Quinzaine des Réalisateurs.

> Tereza Nvotova

Touch Me Not d’Adina Pintilie, Climax de Gaspar Noé et Zama de Lucrecia Martel (je dois encore voir Une affaire de famille de Kore-Eda et le nouveau Carlos Reygadas).
• Le drame Sans jamais le dire de la Slovaque Tereza Nvotova est sorti le 17 octobre en France.

Phuttiphong Aroonpheng, Isabella Eklöf et Nienke Deutz

> Phuttiphong Aroonpheng

Touch Me Not d’Adina Pintilie. C’est un film à mi-chemin entre le cinéma et ce qu’on pourrait trouver dans un musée. J’ai trouvé sa démarche très intéressante.
• Sélectionné à Toronto, Busan ou San Sebastian, le drame Manta Ray a fait sa première française au Festival des 3 Continents. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits de 2018.

> Isabella Eklöf

A Beautiful Day de Lynne Ramsay pour son nerf et son désespoir tourmenté.
Styx de Wolfgang Fischer pour sa vérité déchirante sur le capitalisme et l’humanité.
Touch Me Not d’Adina Pintilie pour ce qu’il nous apprend de l’intimité.
The House that Jack Built de Lars Von Trier pour sa volonté de comprendre la nature profonde d’un sociopathe.
• La Suédoise Isabella Eklöf est la réalisatrice du drame Holiday, sélectionné en compétition à Sundance, et la scénariste du fantastique Border, prix Un Certain Regard qui sort le 9 janvier en France. Elle figure dans notre dossier des réalisatrices à suivre.

> Nienke Deutz

Pour moi c’est Border de Ali Abbasi ! J’ai été enchantée par les personnages et j’adore la façon qu’a le film de décrire une réalité légèrement différente de la nôtre, tout en ayant l’air très naturel et en faisant preuve de beaucoup de compassion. C’est un film qui ouvre un espace pour faire face aux défauts de nos vies quotidiennes.
• La Néerlandaise Nienke Deutz a remporté la compétition courts métrages du dernier Festival d’Annecy avec son film Bloeistraat 11.

Annemarie Jacir, Jimena Blanco, et Ian Lagarde

> Annemarie Jacir

Mon film favori de 2018 est Border de Ali Abbasi. Je l’ai vu alors que je faisais partie du jury Un Certain Regard à Cannes et il m’a totalement surprise. Je ne suis pas spécialement une fan de fantastique mais Border m’a émue d’une façon inattendue. J’ai adoré l’histoire et son cheminement, l’émotion, ce monde étrange, et par-dessus tout la bravoure du film. C’est à la fois original, perturbant et tellement humain. Il m’a beaucoup touchée.
• La comédie dramatique Wajib, l’invitation au mariage de la Palestinienne Annemarie Jacir, est sortie en France le 14 février 2018.

> Jimena Blanco

Mon film préféré vu cette année est Border de Ali Abbasi, qui m’a absolument époustouflée.
• Le récit d’apprentissage Paisaje est le premier long métrage de l’Argentine Jimena Blanco. Il a fait sa première française au Festival de la Roche-sur-Yon.

> Ian Lagarde

J’ai découvert Lucrecia Martel cette année avec Zama à Rotterdam. Ça a été un coup de cœur instantané, qui s’est amplifié au visionnement de La Femme sans tête et de La Cienaga. Son regard est singulier, inspirant et envoûtant. Pour moi, c’est donc l’année Lucrecia Martel, dont les films manquent cruellement de visibilité, au Québec. 

Côté fiction, voici mon top, sans ordre particulier:
Burning (Lee Chang Dong), pour la maîtrise et l’ambiance.
Les Oiseaux de passage (Cristina Gallego & Ciro Guerra), pour l’ensemble.
Jusqu’à la garde (Xavier Legrand), pour l’exercice de tension réussi.
Pig (Mani Haghighi), pour l’audace, devant laquelle je m’incline très bas.
Tarde para morir joven (Dominga Sotomayor), pour la direction photo et la simplicité. 
Au Poste (Quentin Dupieux), parce qu’il a su épurer sans se trahir.
Border (Ali Abbasi), pour la première moitié.
Mandy (Panos Cosmatos), pour le fun.
Roma (Alfonso Cuaron), pour l’ampleur décadente.
Sorry to Bother You (Boots Riley), pour le trouble profond qui s’immisce dans le slapstick. 

Côté Doc:
McEnroe, L’empire de la perfection (Julien Faraut), pour l’obstination du regard, la déconstruction du geste et l’humour, évidemment.
Cassandro El Exotico (Marie Losier), pour le jeu entre la flamboyance et l’intime.

Film installation: Plot Point de Nicolas Provost, astucieux et captivant. J’ai découvert le travail de Jillian Mayer et une foule de bijoux étranges, lors d’une soirée « eyeslicer », qui était comme un trip d’acide à jeun.

Et j’ai oublié A Beautiful Day de Lynn Ramsay et The Great Darkened Days de Maxime Giroux.
• L’ovni All You Can Eat Buddha, premier long métrage du Canadien Ian Lagarde, a fait sa première française à la Rochelle après un long parcours en festivals.

Naomi Kawase, André Novais Oliveira et Marcus Lindeen

> Naomi Kawase

Au Japon, c’est souvent avec mon fils que je vais au cinéma. Et je pense par exemple à Ready Player One de Steven Spielberg. C’est un film aux images futuristes, et il y a chez Spielberg cette capacité impressionnante à s’adapter à toute époque. Moi-même je vais avoir 50 ans l’année prochaine. Et pour créer à partir de nouvelles méthodes, de choses qu’on ne connaît pas encore, il faut une certaine volonté, une certaine hargne. Il n’y a pas tant de créateurs comme ça. Alors moi aussi, j’espère que quand j’aurai 70 ou 80 ans, tant que je serai vivante et que je tournerai, j’aurai cette hargne d’essayer des choses que je ne connais pas aujourd’hui.
• La Japonaise Naomi Kawase a sorti deux films en France cette année : le mélodrame Vers la lumière en début d’année et le drame fantastique Voyage à Yoshino, toujours à l’affiche. Elle est à l’honneur d’une rétrospective au Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 7 janvier.

> André Novais Oliveira

Inferninho, Guto Parente and Pedro Diógenes
L’Île aux chiens, Wes Anderson
Rojo, Benjamin Naishtat
Playing Man, Matjaz Ivanisin
Los Silêncios, Beatriz Seigner
Sol Alegria, Mariah Teixeira e Tavinho Teixeira
Lê Fleuriere, Rybem Desiere
Temporada, premier long métrage de fiction du Brésilien André Novais Oliveira, a été dévoilé au Festival de Locarno puis montré en France au Festival des 3 Continents et à Belfort.

> Marcus Lindeen

Le documentaire qui m’a fait la plus forte impression cette année est The Distant Barking of Dogs de Simon Lereng Wilmont. C’est une exploration tellement forte de la vie en zone de guerre et de la relation entre un jeune Ukrainien et sa grand mère. Le film est un tournant dans le genre du documentaire d’observation. Parmi les fictions, j’ai beaucoup apprécié l’intensité brutale de Jusqu’à la garde de Xavier Legrand et l’espièglerie mythologique de Heureux comme Lazzaro de Alice Rohrwacher.
• Grand Prix au Festival CPH:Dox de Copenhague, le documentaire The Raft de Marcus Lindeen sort en France le 13 février 2019.

Gilles Jacob, Tilman Singer et Fabien Gaffez

> Gilles Jacob

Les films qui m’ont le plus plu depuis quelques semaines sont La Douleur d’Emmanuel Finkiel que j’ai trouvé exceptionnel et bouleversant (Melanie Thierry incroyable de présence sobre et d’émotion vraie et Finkiel à son sommet comme metteur en scène – voir son utilisation du flou tout le long du film et jusqu’au bout) et La Ballade de Buster Scruggs, des immenses frères Coen que j’ai trouvé très hilarant, plein d’idées de cinéma et également touchant dans les deux derniers épisodes. Par ailleurs, j’ai fortement apprécié Plaire aimer et courir vite de Christophe Honoré, et aussi Un amour impossible de Catherine Corsini avec Virginie Efira épatante. M’a fait rire En liberté de Pierre Salvadori (Adèle Haenel et Pio Marmaï, fortes présences). J’ai aussi vu un premier film qui a une énergie folle : Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin. J’ai aimé Mademoiselle de Joncquières (le meilleur Mouret selon moi), mais dès qu’il y a Cécile de France et Edouard Baer, je fonds. Avec aussi Alice Isaaz, une révélation. Enfin, je viens d’admirer High Life de Claire Denis, un volcan avec des coulées de lave cinématographique dans le domaine de la science-fiction.
• Le Dictionnaire Amoureux du Festival de Cannes de Gilles Jacob est actuellement disponible en librairie.

> Tilman Singer

Mon film favori est probablement Phantom Thread. J’ai énormément de respect pour Paul Thomas Anderson. Chaque film qu’il réalise porte en lui une vision unique, avec énormément de maîtrise. On peut dire la même chose de Wes Anderson sur son cinéma et son dernier film (L’Île aux chiens).
• Sélectionné à la Berlinale, le thriller horrifique Luz a fait sa première française à l’Étrange Festival. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits 2018.

> Fabien Gaffez

Sans commentaire et dans le désordre : Under the Silver Lake de David Robert Mitchell, Burning de Lee Chang-dong, En liberté de Pierre Salvadori, Sur le chemin de la rédemption de Paul Schrader, L’île aux chiens de Wes Anderson, Guy d’Alex Lutz, CoinCoin et les Z’inhumains de Bruno Dumont et les vingt premières minutes du Climax de Gaspard Noé.
• Fabien Gaffez est directeur des programmes du Forum des Images et programmateur d’Un état du monde.

Marcelo Martinessi, Simon Jaquemet, et Irene Lusztig

> Marcelo Martinessi

J’ai fait beaucoup de festivals cette année, et je n’ai pas eu le temps de voir autant de films que d’habitude. Mais lors du Festival de Londres, je me suis justement acheté un pass afin de faire des rattrapages. Un film qui m’a particulièrement marqué, il s’agit de Ray & Liz de Richard Billingham. Peut-être parce que j’ai vécu à Londres pendant plusieurs années ? Je pense que c’est un film qui va changer pour toujours la façon dont on pense le cinéma social au Royaume-Uni, et donc le cinéma social du monde entier. J’aime le cinéma de Ken Loach et Mike Leigh mais je trouve qu’avec ce film, Richard Billingham a fait un grand bond en avant. Je n’ai toujours pas digéré le fait que le Guardian ne lui accorde que trois étoiles. Je ne comprends pas qu’on puisse ne pas reconnaître l’importance de ce film. C’est le genre de film où l’on sent que la personne qui nous raconte l’histoire sait très bien de quoi elle parle, qu’elle était là.
• Doublement primé à la Berlinale en début d’année, Les Héritières est en salles depuis le 28 novembre.

> Simon Jaquemet

Mon top 3 serait Donniebrook de Tim Sutton, Ray & Liz de Richard Billingham et Nuestro Tiempo de Carlos Reygadas.
• Second long métrage du Suisse Simon Jaquemet, le drame fantastique The Innocent a été dévoilé à Toronto et San Sebastian avant de faire sa première française à la Roche-sur-Yon. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits 2018.

> Irene Lusztig

The Trial de Maria Augusta Ramos, un film politique déchirant qui propose une observation rigoureuse, opportune et d’une importance capitale. Le film nous montre, comme dans une sorte de ralenti décadent, la banalité du démantèlement de la démocratie au quotidien. C’est un visionnage essentiel, notamment pour ceux qui vivent aux États-Unis, mais c’est finalement un film important et une mise en garde pour tout le monde en ce moment.
Shakedown de Leilah Weinraub, mon film préféré vu à la Berlinale cette année. Je l’ai adoré pour son immersion brute, intime, low-fi et nocturne dans le temps, dans une communauté et dans ce safe space.
Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt. Un film pétillant, camp, et délirant sur les corps queer, le foot, le nationalisme européen, le clonage et les chiots fluffy.
Wild Relatives de Jumana Mann. Un essai merveilleusement calme, méditatif et joyeux sur les semences, la germination, la préservation, les frontières nationales et l’avenir de l’homme.
Hale County, This Morning, This Evening de Ramell Ross. Un beau film lyrique qui invite à porter un regard neuf sur le communauté noire dans le sud des Etats-Unis. Frais, radical et très à propos.
• Le documentaire Yours in Sisterhood, réalisé par la Britannique Irene Lusztig qui figure dans notre dossier des réalisatrices à suivre, a été dévoilé à la Berlinale. Il sortira dans les salles françaises courant 2019.

Debra Granik, Zhang Miaoyan et Mila Turajlic

> Debra Granik

J’ai commencé l’année en adorant L’Autre côté de l’espoir de Aki Kaurismaki, qui n’est sorti à New-York qu’en 2018. J’ai adoré sa manière de traiter de l’immigration, des menaces qui pèsent sur le protagoniste et de la survie dans une comédie à froid. J’admire la capacité de Kaurismaki à accomplir un tel film, c’est à mes yeux un travail délicat et mature – il est devenu vraiment très bon lorsqu’il faut trouver le bon l’angle pour raconter une histoire.

En festivals, j’ai beaucoup aimé :
Yomeddine de Abu Bakr Shawky (Egypte). J’ai été stupéfiée par la prestation de l’acteur principal, par la méthode de survie du protagoniste. J’étais incrédule. Je n’avais jamais vu cela auparavant.

Les Étendues imaginaires de Siew Hua Yeo (Singapour). La sensation d’être transportée dans un lieu où se posent des questions existentielles qui ne m’étaient pas familières. J’ai aimé comment les techniques du cinéma social et réaliste ont été appliquées ici de façon inédite.

Shirkers de Sandy Tan (Singapour). Du mystère, un film qui donne à réfléchir, le tout superbement fait. C’est très dur à accomplir mais l’effort valait largement le coup.

The Pluto Moment de Zhang Ming (Chine). J’ai ri, j’ai appris, j’ai eu l’impression de voir des lieux et des personnages en Chine qu’on ne m’avait jamais présentés jusque là.

Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin (France). J’ai trouvé le casting incroyablement bon. J’ai trouvé les rebondissements frais et incisifs. J’ai des réserves sur certains aspects plus communs mais j’ai au final été éblouie par la force et la détermination de la mise en scène.

Mug de Malgorzata Szumowska (Pologne). Celui-ci m’a surprise. J’ai beaucoup aimé l’atmosphère et le cadre. Beaucoup d’idées à découvrir, et j’aime quand les comédies s’emparent du réalisme social !

Generation Wealth de Lauren Greenfield (Etats-Unis). Un essai percutant ! C’était dingue. Ca m’a rendue malade, mais je suis pleine d’admiration envers la force et la détermination nécessaires à la réalisation de ce film.

The Rider de Chloe Zhao (Etats-Unis). Une approche tellement puissante et directe. Bien entendu, ce genre de réalisme social est totalement mon truc.

Penny de Maya Hardinge (Royaume-Uni, Etats-Unis). C’est un risque audacieux que de filmer ses propres parents, non pas dans le but de les exposer, mais pour voir si l’on peut les comprendre et être en paix avec eux. Comme le photographe britannique Richard Billingham dans Ray & Liz, ce film s’intéresse à ce qu’il y a de plus difficile dans cette idée de faire partie d’une famille.

En haut de ma liste, on trouverait également Transit de Christian Petzold (Allemagne). J’essaye de voir beaucoup de ses films car il y a actuellement une rétrospective à New York.

Ps : J’ai aimé beaucoup de films qui étaient à la Quinzaine des Réalisateurs cette année !
Pps : Je n’ai pas eu l’occasion de voir de films d’Amérique latine, du nord et de l’est de l’Europe cette année, alors cette liste est forcément incomplète, comme toutes les listes de films !
Leave No Trace de l’Américaine Debra Granik est sorti en France le 19 septembre.

> Zhang Miaoyan

Les Gardiennes de Xavier Beauvois. Son récit sobre et visuellement fascinant est réalisé avec une précision minutieuse.
• Le drame mystérieux Silent Mist du Chinois Zhang Miaoyan a été sélectionné au Festival Black Movie de Genève. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits de 2018.

> Mila Turajlic

Bizarrement, comme j’ai accompagné mon film sur le circuit des festivals, j’ai raté pratiquement toutes les sorties des films que je voulais voir. Du coup j’ai surtout vu des documentaires en festivals cette année – et je dirais que ceux qui m’ont le plus parlé étaient des histoires intimes évoquant le passé à l’image de Srbenka de Nebojsa Slijepcevic.
• Le documentaire L’Envers d’une histoire de la Serbe Mila Turajlic est sorti le 24 octobre en France.

Giuseppe Carrieri, Wei Keong Tan et Nawapol Thamrongrattanarit

> Giuseppe Carrieri

Mon film favori de 2018 est Une affaire de famille de Hirokazu Kore-Eda. La raison est très simple : parce que c’est un portrait à la fois puissant et poétique d’une famille très particulière, et parce que les acteurs jouent tous d’une manière très authentique.
• Le documentaire Hanaa de l’Italien Giuseppe Carrieri faisait partie de la sélection du Festival CPH:Dox de Copenhague.

> Wei Keong Tan

J’ai aimé Une affaire de famille de Hirokazu Kore-Eda. C’est une histoire très bien faite qui explore les relations entre les marginaux et rejetés de la société, et il aborde de manière stimulante l’idée de l’unité familiale. J’ai toujours aimé les films de Kore-Eda qui sont remplis de personnages adorables – ils ont une gentillesse, une douceur, mais aussi quelque chose de résilient et de têtu.
• Le Singapourien Wei Keong Tan était en compétition au Festival du Film d’Animation d’Annecy avec son court métrage Between Us Two.

> Nawapol Thamrongrattanarit

J’ai aimé Three Billboards, les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh, The Florida Project de Sean Baker, First Man de Damien Chazelle, Une affaire de famille de Hirokazu Kore-Eda, la série documentaire Wild Wild Country ainsi que Deadpool 2 de David Leitch.
Die Tomorrow, nouveau long métrage du Thaïlandais Nawapol Thamrongrattanarit, a été sélectionné à la Berlinale en début d’année. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits de 2018.

Emmanuel Marre, Clara Linhart, Yang Mingming

Emmanuel Marre

J’ai vu en juin dernier Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt. Un film monde. Le film de Claude Shmitz Braquer Poitiers me réjouit très fort.
• Le moyen métrage D’un château l’autre du Français Emmanuel Marre a été primé à Locarno et à la Roche-sur-Yon où il a fait sa première française.

> Clara Linhart

Corpo Elétrico de Marcelo Caetano. C’est une expérience extrêmement sensorielle sur le besoin de se connecter les uns aux autres. Et Torre das Donzelas de Susana Lira : des anciennes prisonnières politiques du temps de la dictature militaire au Brésil se remémorent le temps passé en prison, dans un décor dessiné pour réactiver leur mémoire. Et ce qui ressort de cette expérience terrible, c’est le bonheur de la solidarité, les affects partagés et l’échange des savoirs. Elles sont toutes ressorties plus cultivées, plus mûres et avec un groupe de meilleures amies pour la vie.
• La comédie dramatique Domingo, que la Brésilienne Clara Linhart a co-réalisée avec Felipe Barbosa, est sortie en France le 10 octobre.

> Yang Mingming

Cold War de Pawel Pawlikowski. Parce que c’est une expérience extraordinaire d’être porté par un amour rayonnant tout en affrontant les embûches du destin.
• La comédie dramatique Girls Always Happy de la Chinoise Yang Mingming a été sélectionnée à la Berlinale. Yang Mingming figure dans notre dossier des réalisatrices à suivre.

Tulapop Saenjaroen, Rasmus Kloster Bro et Kim Ui-Seok

> Tulapop Saenjaroen

Man in the Well et An Elephant Sitting Still de Hu Bo. J’ai eu l’occasion de voir ces deux films la même semaine et ils sont d’une grande intensité. Et même s’ils sont assez différent esthétiquement et que l’un est un court tandis que l’autre dure presque 4 heures, je trouve qu’ils ont quelque chose de commun en leur cœur. Pour moi, ils ont à la fois cette façon de se confronter à vous qui est unique, et une audace sincère.
• Le moyen métrage A Room with Coconut View du Thaïlandais Tulapop Saenjaroen a été sélectionné au Festival de Locarno. Saenjaroen est également producteur du prochain Anocha Suwichakornpong.

> Rasmus Kloster Bro

J’ai été époustouflé par Climax de Gaspar Noé. Je ne trouve pas les mots pour décrire mon expérience de spectateur, parce que c’était purement physique et pas du tout intellectualisé. C’est un film pour les corps et j’adore ça.
• Le Danois Rasmus Kloster Bro a remporté le Grand Prix au Festival du Film Fantastique de Strasbourg avec son survival Cutterhead. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits de 2018.

> Kim Ui-Seok

Phantom Thread de Paul Thomas Anderson.
• Couronné à Busan, le drame After My Death du Coréen Kim Ui-Seok est sorti en France le 21 novembre.

Ulrich Köhler, Martina Scarpelli, Qiu Sheng

> Ulrich Köhler

J’allais beaucoup au cinéma avant d’avoir des enfants, maintenant j’ai beaucoup moins le temps ! A Cannes, le film qui m’a le plus touché c’est Le Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan. Ce n’est certes pas du tout un film avant-gardiste dans la forme, ça reste très littéraire, mais ça m’a beaucoup touché. Cela faisait plusieurs films qu’il était dans la redite d’un schéma narratif classique, or pour moi, c’est son meilleur film depuis Uzak. J’ai été très touché aussi par le film d’Alice Rohrwacher, Heureux comme Lazzaro.
• Présenté cette année à Un Certain Regard, In My Room sortira en salles le 9 janvier 2019. Lire notre entretien avec le réalisateur.

> Martina Scarpelli

Je répondrais Ce magnifique gâteau ! de Marc James Roels et Emma De Swaef. C’est mon film préféré de 2018.
Egg, le court métrage de l’Italienne Martina Scarpelli, a été primé lors du dernier Festival du Film d’Animation d’Annecy.

> Qiu Sheng

Sophia Antipolis de Virgil Vernier, Classical Period de Ted Fendt et Leto de Kirill Serebrennikov.
• Dévoilé à Locarno, le drame Suburban Birds du Chinois Qiu Sheng a fait sa première française au FIFIB. Il figure dans notre liste des meilleurs inédits de 2018.

Gustavo Vinagre, Amandine Gay

> Gustavo Vinagre

Mes films préférés de l’année sont pour la plupart brésiliens:
Ilha de Glenda Nicácio et Ary Rosa. Un grand film méta, qui n’a pas peur de prendre des risques, et qui offre des surprises à chaque scène.
Inferninho de Guto Parente et Pedro Diógenes. Un conte queer à la fois triste et chaleureux, qui va droit au cœur. Yuri Yamamoto et Rafael Martins sont des interprètes parfaits.
Temporada de André Novais Oliveira. Des super dialogues, un super sens du rythme, de super interprètes. Un câlin en ces temps fascistes.
Les Bonnes manières, de Juliana Rojas et Marco Dutra. Étonnant, profond, émouvant, effrayant, drôle. La preuve, si besoin était, qu’un film d’horreur peut-être un film d’auteur.
Je rajoute également Don’t Worry He Won’t Get Far on Foot, de Gus Van Sant. Un biopic sur une renaissance, qui avait tout sur le papier pour être pénible, mais que Gus Van Sant rend sublime grâce à son art du découpage et de la mise en scène. Beth Ditto, Kim Gordon, Jonah Hill et Joaquin Phoenix sont tous incroyables.
• Le documentaire I Remember the Crows réalisé par le Brésilien Gustavo Vinagre figurait en compétition au Festival Cinéma du Réel. Ce film figure dans notre liste des meilleurs inédits de 2018.

> Amandine Gay

Shakedown de Leilah Weinraub
Découvert au Indie Memphis Films Festival qui a vu la première US d’Ouvrir La Voix/ Speak Up. Nos deux films étaient dans la compétition et quand j’ai vu le sien, j’ai immédiatement su qu’il allait gagner tellement il était bon et visuellement fascinant. C’est presque un film expérimental, avec beaucoup d’audace au niveau du traitement des archives (des arrêts sur images, les décalages entre les séquences de danse où la musique originale est remplacée par une ambiance sonore qui étire le temps…). Bref, bien que le sujet soit très puissant (la représentation des strip-teaseuses dans les clubs afro-lesbiens underground de Los Angeles), c’est vraiment l’esthétique du film qui m’a emportée. J’ai même voté pour Shakedown et pas pour Speak Up dans la compétition des « prix du public » (rires)

This one’s for the ladies de Gene Graham
Et avant que vous pensiez que je suis complètement obsédée par les « exotic dancers », je dois préciser que c’est également un film découvert lors du festival à Memphis. Et encore une fois, au-delà du sujet qui se suffit déjà à lui-même (le récit et le quotidien de femmes noires de milieux populaires, aficionadas de spectacles d’hommes noirs strip-teasers – qui témoignent également) ; c’est vraiment l’articulation de multiples dimensions politiques qui m’a touchée. En partant du strip-tease masculin, le film aborde aussi avec beaucoup de subtilité la question des assassinats d’hommes noirs aux États-Unis par la police, ainsi que la question de la représentation des noirs de classes populaires dans le cinéma et les séries US. C’est la première fois que je vois ce genre de personnages à l’écran traité avec autant de dignité, tout en arrivant à rendre la flamboyance de l’argot et de l’attitude des afro-américain.e.s du ghetto. Le film sera distribué par Neon aux États-Unis et sort pour la Saint-Valentin et ça tombe bien car c’est un « feel-good movie » hyper intelligent, avec une belle photo au passage.

Bohemian Rhapsody de Bryan Singer
En tant que fan de Queen en général, de Freddie Mercury en particulier, et comme personne étant très sceptique quant à la multiplication des biopics ces dernières années, je n’avais vraiment pas beaucoup d’attente vis-à-vis de ce film, si ce n’est Rami Malek que j’ai trouvé très bon dans la série Mr Robot. Et là, surprise, je ne me suis pas ennuyée une minute et je suis même prête à y retourner. J’ai aimé l’omniprésence de la musique et le détail accordé à la représentation du processus créatif, c’est ce qui m’intéresse le plus quand on montre la vie d’un.e artiste et c’est généralement ce qui disparait dans les biopics, au profit de l’étalement des détails sur la vie privée des stars. Ici, on colle à l’ascension du groupe, on ne tombe pas dans la psychologisation outrancière du personnage de Mercury, c’est presque un grand clip de 2h15 à la gloire de Queen et alors que ce simple fait aurait pu détruire le film, c’est ce qui le fait tenir, pour moi en tout cas. J’ai aussi aimé que Queen, comme groupe, et pas juste Mercury, existe à l’écran et je me suis même surprise à apprécier certains effets de montage limite outranciers (le cut de la poule au batteur qui chante « Galileo » est scandaleux mais fonctionne super bien, j’avoue, j’ai ri).

Sorry to Bother You de Boots Riley
Vu il y a quelques mois à sa sortie au Québec donc c’est moins frais, mais j’ai aimé :
_ L’esprit punk qui se dégage du film. C’est vraiment un ovni qu’on aurait pu voir dans les années 80, avec un côté ni queue, ni tête mais qui passe complètement du fait de l’énergie que le film renvoie.
_ Je suis très admirative du travail de Boots avec son groupe de hip hop anticapitaliste, The Coup, donc je me demandais comment il allait arriver à traduire cette verve dans un film avec des stars hollywoodiennes et contre toute attente, ça marche ! L’idée de montrer que seule l’action collective contre les patrons fonctionne, a pour corollaire le renversement de la narration hollywoodienne et américaine du « quand on veut, on peut » et du héros « seul contre tous ».
_ Et puis visuellement encore, on est dans un délire que j’ai vraiment apprécié avec plein de trouvailles et de clins d’oeil comme le cadre avec la photo du père du héros qui évolue en fonction de ses actions dans le film, ou les scènes de transformation de sa chambre, ou la photo propre à chaque lieu emblématique du film. Rien n’est laissé au hasard (si ce n’est les transitions et la cohérence globale du scénario, mais c’est aussi intéressant de voir que l’obsession de la continuité dans un film peut être complètement abandonnée). J’ai bien hâte que le film sorte en France pour voir comment les critiques ciné vont réagir, je pense que ça va arracher pas mal de cerveaux !!!
• La Française Amandine Gay est la réalisatrice du documentaire Ouvrir la voix, sorti en France l’an passé et désormais disponible en dvd et vod.

Dossier réalisé par Nicolas Bardot et Gregory Coutaut le 26 décembre 2018. Un très grand merci à tous ceux qui l’ont rendu possible.

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