Festival New Directors/New Films | Entretien avec Polen Ly

C’était l’une des nombreuses merveilles dans la compétition courts métrages lors de la récente Berlinale. Dans Further and Further Away, sélectionné cette semaine au Festival New Directors/New Films, un frère et une sœur passent leur dernier jour dans un petit village du nord-est du Cambodge avant de rejoindre la ville. Le Cambodgien Polen Ly pose un regard d’une délicatesse absolue sur les liens familiaux, le deuil et les adieux, le passé et le futur. Son film est une merveille épurée, poétique et d’une profonde humanité. Polen Ly est notre invité.


Quel a été le point de départ de Further and Further Away ?

J’ai commencé ma recherche documentaire en 2017 dans un village indigène, Kbal Romeas, au nord du Cambodge, où les villageois attendaient la construction d’un barrage hydroélectrique à proximité. Après avoir appris à connaître les gens là-bas, j’ai écrit un court scénario. Mais le barrage a finalement inondé tout le village ainsi qu’une grande partie de la forêt. Cela m’a brisé le cœur, d’autant plus que j’avais commencé à nouer une relation étroite avec les habitants. Plus j’ai appris à les connaître eux et leurs histoires, plus le scénario s’est développé par rapport à mon premier brouillon. Mon état d’esprit et mon point de vue sur le sujet sont devenus plus clairs, plus honnêtes et moins critiques envers les personnages. J’ai appris quelque chose d’important de ce voyage : nous avons tendance à juger trop rapidement à partir d’une perception très superficielle.

Dans les faits, les villageois ont été divisés en deux groupes : ceux qui sont restés et ceux qui sont partis en étant indemnisés. Au début, j’admirais les gens qui sont restés pour leur courage et l’amour de leur terre ancestrale ; je me disais que ceux qui étaient partis avaient tort de se montrer infidèles envers leur ancienne terre. Je me suis ensuite libéré de mon propre jugement en allant dans cette région pour connaître les gens de manière plus profonde. Quand j’étais là-bas et que j’ai rencontré des villageois, j’ai commencé à développer de la compassion, une sympathie pour eux. Ils ont été déplacés vers des régions où la vie est devenue tout à coup différente. Ils se sont retrouvés coincés, là où l’espoir semblait hors de portée. Certaines personnes regrettent d’avoir quitté leur ancienne maison, certains essaient de s’adapter à la nouvelle vie, certains tentent de passer à autre chose.

Cependant, la seule chose que les gens ont conservée est la mémoire de leur terre ancestrale. C’est l’élément le plus important qui m’a incité à faire Further And Further Away : raconter une histoire où la mémoire et le rêve du futur se rencontrent.

Il y a quelque chose de très doux et mélancolique qui est traduit par votre mise en scène. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Honnêtement, auparavant, je ne faisais pas de moodboard avant de tourner mes films. J’ai essayé d’en faire un pour mon producteur afin de montrer ce à quoi pourrait ressembler le film, mais pendant le tournage, tout s’est déroulé spontanément. Dans le court métrage, j’ai décidé d’utiliser la lumière naturelle pour traduire au mieux la réalité du lieu, dans un style documentaire. Mais j’avais depuis le début cette volonté que l’histoire soit racontée d’une manière tendre. Il est important que le public observe cette histoire dans un état d’esprit calme. Ce désir est basé sur un concept de philosophie bouddhiste, selon lequel nous sommes plus enclins à examiner une situation de façon claire à partir d’un état d’esprit calme.

J’ai choisi un ton proche du jaune pour donner une impression de chaleur et de confort. La couleur bleue dans le film est là en contraste pour montrer le conflit intérieur entre les personnages, et entre le personnage principal et son environnement. Je ne sais vraiment pas ce qui a exactement apporté le sentiment de mélancolie dans ces plans. Je sais seulement qu’au bout de quatre ans, j’ai fini par très bien connaître cet endroit et ses habitants ; donc je me suis senti en quelque sorte connecté avec la terre qui a été détruite par le réservoir. J’avais l’habitude d’être témoin de la beauté ainsi que de la paix de la forêt et du village quand ils n’étaient pas encore sous le déluge. J’ai passé tant de temps à chercher des légumes sauvages et à filmer dans la forêt avec les villageois. Donc voir la forêt mourir dans ces conditions m’a fait mal.

Je ne pouvais qu’imaginer à quel point ce serait douloureux pour les villageois, qui ont construit leur mémoire liée à la terre depuis leur naissance. Je pense donc que ce sentiment a peut-être influencé inconsciemment le traitement visuel.

Votre utilisation du son (et du silence) est remarquable. Comment avez-vous abordé cet aspect de votre film ?

Je dois remercier chaleureusement le concepteur sonore Vincent Villa et notre assistant Sreymoch Kim. Dès la première ébauche du design sonore, c’est le silence qui a été utilisé pour introduire l’image. J’ai tout de suite adoré cette idée. Pour moi, ce silence raconte tellement ce qui est à la surface des deux personnages. C’est comme un langage méta pour entrer dans leur psychologie.

En dehors du silence, Vincent et moi avons convenu de n’utiliser que des sons naturels pour rendre l’histoire plus immersive ; comme si nous étions dans le lieu-même avec les personnages. Certains sons forestiers se superposent à la réalité pour nous faire sentir comme si les protagonistes étaient amenés physiquement dans un autre monde. Nous avons énormément apprécié notre travail sur un son naturel, car cela nous a donné la possibilité d’expérimenter différentes façons de raconter une histoire. Pour moi, l’absence de musique est la meilleure chose du film, car elle rend l’histoire honnête et réelle.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Différents cinéastes figurent dans ma liste de favoris. J’adore la façon qu’a Andreï Tarkovski d’interpréter le monde intérieur de son personnage à travers la poésie du langage visuel, les éléments naturels comme l’eau, le feu, le vent… Terrence Malick est quelqu’un que j’admire, j’aime la liberté qui ressort de son langage cinématographique.

Je citerais aussi Andreï Zviaguintsev et Michael Haneke, j’admire leur façon de montrer la douleur et le désespoir de leurs personnages d’une manière très honnête et crue sans chercher à faire plaisir au spectateur. J’aime aussi la manière de raconter des histoires d’Hirokazu Koreeda qui dépeint toujours la vie des gens et les liens humains avec douceur, même dans la difficulté. Mais je dois dire que j’aime aussi regarder différents petits films indépendants, des anciens aux nouveaux, pour voir l’expression diversifiée du langage cinématographique de chaque cinéaste.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?

La dernière fois, c’était en voyant les courts métrages de la 72e Berlinale. J’ai pu constater la diversité des expressions cinématographiques de cinéastes qui viennent du monde entier. Chacun de leurs récits a une forme très unique, expérimentale, ludique, brute… Cela me permet vraiment, en tant que spectateur et cinéaste, d’apprécier la liberté sans fin de la création visuelle et de la narration. Cela m’encourage aussi à faire attention à mon ego, à ne pas rester coincé dans ma propre idéologie, et à oser explorer le vaste espace d’expression de soi sans trop faire de compromis. Pour moi, l’art se développe sans cesse, et ma façon de raconter des histoires aussi.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 22 février 2022. Un grand merci à Flavio Armone. Source portrait : Timofey Begrov.

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