Entretien avec Morgane Dziurla-Petit

Lauréate du prix du jury en début d’année au Festival de Rotterdam, Morgane Dziurla-Petit signe un étonnant ovni avec son premier long métrage, Excess Will Save Us. La cinéaste, qui vit désormais en Suède, est revenue dans son village des Hauts-de-France pour y filmer sa famille. La rumeur d’un attentat terroriste est le point de départ de ce stimulant hybride entre doc et fiction. Morgane Dziurla-Petit nous en dit davantage sur ce film drôle et politique, profond et lunaire, en compétition cette semaine au Transilvania Film Festival.


Qu’est-ce qui vous a motivée à vous pencher à nouveau sur votre court métrage Excess Will Save Us et à en faire cette fois un long métrage ?

Dès le tournage du court, je savais qu’il y avait bien plus d’histoires à raconter que celle de l’alerte attentat. Le vrai déclic pour créer un fil rouge entre toutes ces histoires a été de découvrir que mon père, passé 60 ans, se sentait toujours autant coincé dans les mêmes dynamiques avec la famille. Quelque part, je reconnaissais mon moi enfant et adolescent en lui. Ça m’a donné très envie de créer un alter ego : Faustine, la cousine. Ce sont deux personnages qui semblent, sur le papier, assez opposés mais partagent en réalité des rêves similaires.

En quoi la fiction vous sert-elle d’outil pour souligner le réel ?

Je pense que la fiction est nécessaire pour raconter de la manière la plus vraie une histoire sur Villereau et en particulier sur ma famille. Lorsque je suis là-bas, tout paraît être entre fiction et réalité. On ne sait jamais si les histoires sont réelles mais on se prend au jeu de les écouter, de les répéter, d’en rire et aussi d’en faire quelque chose de gigantesque. J’ai essayé de faire le film pour que cela fonctionne de la même manière pour le spectateur. Au début, on se demande où le documentaire devient de la fiction mais plus le film avance, plus on devient comme les habitants du village d’une certaine manière : savoir si les faits sont véridiques paraît de moins en moins important et on est juste pris dans l’histoire.

Dans quelle mesure peut-on dire que Excess Will Save Us traite des conséquences du fear porn (c’est-à-dire cette capacité des médias à jouer sur les peurs des gens) – a fortiori dans un lieu où « rien » ne semble se passer ?

C’est toute l’histoire de l’arrivée de cette alerte attentat au village. Et en effet, il n’y a pas beaucoup de scènes dans les cuisines ou salons où on ne trouve pas la télévision allumée. Et comme les journaux papiers, elle alimente la peur de l’Autre que les habitants créent. Les personnages en viennent même à prendre les médias en main et créent aussi la peur dans le village grâce à un mensonge qu’ils ont créé.

Comment trouvez-vous votre équilibre idéal entre rire de l’absurdité des situations sans vous moquer des personnages ?

Tous les acteurs / participants voient l’absurdité des situations, je le pense vraiment. Mais soit l’histoire ou le fait de raconter une histoire est pour eux plus important que son absurdité, soit c’est quelque chose dont on rit énormément ensemble déjà durant les étapes d’écriture et de tournage. À partir de là, j’ai toujours eu la sensation de rire avec eux pendant le montage du film.

Excess Will Save Us est un film hors normes mais aviez-vous néanmoins des influences ou modèles en tête lors de sa confection ?

J’admire le travail avec les non-professionnels qui est fait sur P’tit Quinquin. Sinon on avait surtout des influences esthétiques comme Andrew Wyeth ou parfois Roy Andersson. Après avoir fait le court, comme j’ai continué de travailler avec la même équipe, la référence est vraiment devenue Excess Will Save Us cependant. On se posait tout le temps la question “Est-ce que c’est Excess ou pas ?” ou bien “Est-ce que ça fait sens de briser cette règle qu’on a avec Excess pour cette scène ?”. Toutes les règles étaient là, ce qui a rendu la confection du long métrage très intuitive.

Grab Them

Donald Trump était au centre de votre court métrage Grab Them et il est à nouveau question de lui ici, de manière plus périphérique. Qu’est-ce qui selon vous en fait un personnage de cinéma ?

Dans Grab Them, on était dans une fiction qui prenait des airs de documentaire et déjà Trump semblait être le personnage nécessaire tant il a aggravé l’usage des fake news. Avoir une référence à lui dans Excess Will Save Us rappelle que l’usage de la fiction dans notre monde s’est amplifié. Elle a maintenant dépassé les frontières de Villereau mais aussi les frontières sociales. Le village “bizarre” est devenu notre monde.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 2 février 2022. Un grand merci à Manlin Sterner.

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