Entretien avec Merawi Gerima

Dévoilé à la Mostra de Venise, Residue est un choc formel en même temps qu’un puissant film politique. L’Américain Merawi Gerima, qui signe ici son premier long métrage, raconte l’histoire d’un jeune homme qui retrouve son quartier de Washington transformé par la gentrification. Voilà un film d’une actualité brûlante et qui révèle un talent extrêmement prometteur. Merawi Gerima, dont le film est sorti ce mercredi 5 janvier en France, est notre invité de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Residue ?

En 2016, je suis rentré chez moi à Washington DC après avoir passé toute une année à l’école de cinéma à Los Angeles. La somme incroyable de changements qui se sont produits durant cette courte période m’a dévasté. J’ai commencé à écrire le scénario comme un moyen d’exercer un pouvoir sur la situation. Je n’avais pas le pouvoir politique ou économique d’empêcher les promoteurs de détruire ma ville, mais au moins j’avais le pouvoir d’écrire l’histoire de ma communauté pour empêcher l’anéantissement total de notre histoire. Espérons que cette histoire puisse être utilisée pour encourager les gens à agir.

Votre film est d’un style réaliste, avec un propos politique fort, mais la façon dont vous traitez les souvenirs et les « visions mentales » donne à Residue une atmosphère presque onirique. Comment avez-vous envisagé ces différentes tonalités ?

La réalité de Jay est celle d’une existence hyper-nostalgique. Il est incapable de se déplacer à travers Washington DC sans être bombardé par ces souvenirs. L’idée est que les souvenirs deviennent aussi réels que les sensations physiques, comme vous pouvez le voir dans cette scène à la fin où on lui rend visite dans son appartement. Par conséquent, au début, les souvenirs sont vagues et flous. Au fil du temps, ils deviennent plus nets et clairs, jusqu’à ce que, vers la fin du film, on ne puisse plus faire la différence.

Residue est très impressionnant visuellement, et la mise en scène de votre film joue un vrai rôle dans la narration. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez approché le traitement formel de Residue ?

Le traitement visuel est le fruit de la réalité économique à laquelle nous étions confrontés pendant la production. A part la caméra d’excellente qualité qui nous a été donnée, nous avions très peu de ressources et encore moins de temps. Beaucoup de choses ont dû être tournées dans la précipitation, ou étaient incomplètes. En outre, les changements rapides qui se passaient dans la ville pendant que nous filmions nous ont obligés à être prêts à tourner à tout moment. Il y a énormément de moments documentaires importants qui ont été tournés avec nos téléphones et des caméras plus petites. C’est pourquoi le style visuel vient de ces différents types de séquences que nous avons tournées pendant 3 ans, et que nous devions assembler. Ainsi que d’une recherche pour faire fonctionner les scènes qui n’ont pas pu être tournées correctement. Nous nous sommes retrouvés avec un collage en mouvement et c’était très intéressant.

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Avant tout mes parents : Shirikiana Aina et Haile Gerima, deux incroyables cinéastes noir.e.s et indépendant.e.s qui m’ont montré le chemin à moi ainsi qu’à beaucoup, beaucoup d’autres. J’aime des cinéastes comme Shinsuke Ogawa, Kaneto Shindo, Miguel Littin, Kurosawa, Larry Clark, Charles Burnett, Humberto Solas, Getino & Solanas, Kalatozov & Urusevsky, Kahlil Joseph et Ousmane Sembene.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

En regardant les courts métrages de la jeune réalisatrice rwandaise Clémentine Dusabejambo. Wow !

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 21 septembre 2020. Crédit portrait.

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