L’Étrange Festival | Entretien avec Jan Soldat

Remarqué entre autres avec les surprenants documentaires Der Unfertige ou Prison System 4614, l’Allemand Jan Soldat signe l’un des ovnis de l’année avec son court métrage Staging Death. En quelques minutes, ce film cite et met en scène les 1001 morts d’Udo Kier au fil de sa très riche filmographie. Ce montage est-il un essai expérimental ? Un documentaire sur le cinéma ? Un hommage fétichiste ? Un slapstick, ou au contraire le drame absurde d’un homme qui n’arrive pas à mourir ? Probablement un peu de tout cela à la fois. Le cinéaste nous en dit plus sur cette pépite aussi curieuse que jubilatoire, dévoilée à la Quinzaine des Réalisateurs et au programme de l’Étrange Festival.


Quel aspect d’Udo Kier a fait naître chez vous le désir de lui rendre cet hommage particulier ?

Ce n’était pas un aspect en particulier. C’était davantage pour lutter contre mon ennui durant les multiples confinements de cette crise sanitaire. J’ai d’abord regardé tous les films avec Keanu Reeves. Plus de 80. Tout simplement parce que j’aime sa présence à la fois naïve et honnête. Puis j’ai regardé tous les films avec Nicolas Cage. Plus de 110. J’ai pensé que cela me donnerait de l’énergie de le regarder paniquer. Mais c’était en fait très ennuyeux, pour la plupart de ses films. Du coup, j’ai cherché quelqu’un de plus stimulant. Quelqu’un qui a beaucoup tourné. Et Udo Kier est apparu dans plus de 220 films, qu’il s’agisse de productions cinématographiques ou télévisuelles. Plus de 100 épisodes de séries et plus de 50 courts métrages. C’était d’abord un défi, pour voir si je pouvais arriver au bout de cette filmographie.

J’ai ensuite dressé une liste pour chacune de ces trois rétrospectives personnelles. Pour Keanu, j’ai noté s’il était le gentil ou le méchant. S’il meurt, s’il finit avec l’héroïne à la fin, des choses comme ça. Puis avec Nicolas Cage, j’ai essayé de répertorier encore plus : quand il boit, pleure, conduit, fume, rit, crie, danse, tue, meurt, et plus encore. Pour Udo Kier, je n’ai noté que quand il mourait, et de quelle manière. Le facteur décisif, ça a été sa mort dans Blade de Stephen Norrington, quand il fond au soleil et finit par exploser. J’ai voulu voir s’il y avait d’autres morts aussi grandioses dans ses autres films. Une fois que je suis allé aussi loin que possible avec Udo Kier (malheureusement, il y a encore quelques films qui me manquent), j’ai eu l’idée de monter ces morts en un seul film.



Comment avez-vous procédé pour monter ces images hétérogènes venant de films très différents ?

C’était un processus particulièrement épuisant et frustrant pour moi. J’ai l’habitude de faire des documentaires, surtout des courts métrages. J’ai fait plus de 90 films et j’ai monté la plupart d’entre eux moi-même. Pour les courts il me faut généralement quelques jours et pour les moyens métrages c’est plutôt 2 à 4 semaines. Pour Staging Death (qui dure 8 minutes), ça m’a pris 3 mois et demi. C’est beaucoup de temps pour moi. C’était aussi mon premier film de found footage. Ce fut un long processus pour bien comprendre les différentes images. La durée des plans. Le type de son et de musique.

Il m’a fallu du temps pour comprendre et me concentrer sur une seule image de mort. Il a fallu comprendre quand les différentes images parvenaient à faire narration et quand elles ne fonctionnaient pas. Il a fallu comprendre aussi quand le montage ouvrait des espaces de pensée inutiles avec des questions contre-productives. Je voulais éviter cela. Il fallait comprendre quand le film se sabotait et s’effondrait. C’était aussi un grand défi de trouver un flux d’images qui ne s’épuise pas et ne submerge pas le public. Il m’a aussi fallu un certain temps pour rompre avec une chronologie strictement liée à la sortie des films.

J’ai également reçu un précieux soutien et des commentaires de la part d’amis, de cinéastes et de ma petite amie. C’était souvent difficile pour moi, mais la frustration constituait toujours une motivation supplémentaire pour réussir le meilleur montage, le plus cohérent. Enfin, comme le dit Udo dans Cigarette Burns de John Carpenter (dans l’anthologie Master of Horror, ndlr) : « I made my own movie » (« J’ai fait mon propre film »).

Peu à peu dans Staging Death, avec toutes ces morts et résurrections successives, on a le sentiment de voir l’histoire d’un homme qui tente de se suicider à tout prix mais qui n’y parvient jamais. Comment avez-vous abordé les différents genres de ce film qui parvient à être tout à la fois un essai, un hommage et une histoire ?

Un de mes amis dit à propos du film : la mort ne laisse pas Udo Kier tranquille, mon film ne laisse pas Udo Kier tranquille. C’est une perception/interprétation similaire à la vôtre, que cet homme, Udo Kier, ne peut tout simplement pas mourir. J’aime ça. Tout le monde peut le comprendre comme il le souhaite. Mais durant le montage, je n’ai pas beaucoup pensé à un message ou une histoire. C’était plutôt l’inverse. J’ai pensé avant tout au mouvement. Vers le haut, vers le bas. Encore et encore au sol, en tombant, en criant. J’ai pensé aux similitudes et aux différences dans les façons de le tuer. Au mouvement à travers l’Histoire du cinéma et les conditions de production. Au bruit et au silence. A la rapidité et la lenteur. J’ai travaillé davantage sur la surface, le corps du film et le corps de l’acteur, pour pouvoir ouvrir ainsi un espace d’interprétation, éventuellement une histoire. Mais sans que ça ne soit véritablement intentionnel.

De cette manière, j’ai essayé de regarder les images et les scènes en toute liberté, sans penser aux genres de films, aux récits d’où elles viennent. Ce qui, bien sûr, n’est pas totalement possible, car c’est aussi inscrit dans les images qu’on voit à l’écran. Mais c’était une bonne approche pour le montage, pour travailler et penser plus librement. Que le film soit automatiquement aussi un hommage, c’est inévitable. Parce que le film traverse 54 ans d’une carrière d’acteur unique. En cela, c’est aussi un documentaire.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Malheureusement, je ne suis plus de cinéaste en particulier depuis longtemps. Ça serait super si ça arrivait à nouveau, qu’une œuvre me fascine au point de m’en imprégner. Malheureusement, je finis toujours assez déçu et ennuyé. Mais j’ai aussi tendance à être quelqu’un qui regarde un éventail relativement large de films. Je regarde des longs métrages de fiction, des documentaires, des courts métrages, rarement des séries. Je regarde tous les genres : drame, fantastique, thriller, action, porno, comédie etc. Je regarde de l’animation, ds vidéos YouTube, des blockbusters, beaucoup de films de super-héros, des films expérimentaux.

Peut-être que cela a à voir avec le fait que je n’ai pas de modèle ou quoi que ce soit. Mais j’apprécie plutôt un film en lui-même, quand celui-ci m’inspire grâce à toutes les choses que le cinéma peut être. Dans ses contrastes. Même dans les moments ennuyeux. Je n’ai en rien une vision élitiste du cinéma. Il y a des gens qui revendiquent qu’ils ont « un vrai genre de film » pour eux. Pour moi, cela a toujours quelque chose de discriminant, de condescendant et d’arrogant.


Doctor Strange in the Multiverse of Madness

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Je crois que je peux trouver quelque chose de neuf dans chaque film, même dans un film que je n’aime pas. Le dernier film que j’ai vu au cinéma est Doctor Strange in the Multiverse of Madness de Sam Raimi. J’aime ses Evil Dead. Son film Intuitions dans lequel Keanu Reeves joue un personnage très méchant. J’aime ses Spiderman et plus particulièrement la façon dont ils ont rendu les super-héros à nouveau populaires et ce d’une autre manière. J’aime comme il apporte son style de mise en scène de ses anciens films d’horreur jusqu’à son cinéma plus mainstream. C’est à nouveau le cas avec Doctor Strange. J’ai trouvé que l’horreur, la violence et le côté trash (dans un sens positif) très bien faits. Mais au final le film ne fonctionne pas si bien, à cause de ses personnages et de l’histoire.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 15 mai 2022.

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