Critique : The Souvenir Part I

Au début des années 80, Julie, une jeune étudiante en cinéma qui se cherche encore, rencontre Anthony, un dandy aussi charismatique que mystérieux. Prise sous le charme de cet homme plus âgé, elle se lance aveuglément dans ce qui s’avère être sa première véritable histoire d’amour.

The Souvenir
Royaume-Uni, 2019
De Joanna Hogg

Durée : 1h55

Sortie : 02/02/2022

Note : 

L’EDUCATION SENTIMENTALE

La réalisatrice britannique Joanna Hogg présente The Souvenir comme un film semi-autobiographique. Le résultat, onirique et d’un spleen brumeux, ne pourrait pourtant pas être plus éloigné d’un biopic. Le long métrage se concentre sur une période de double apprentissage pour la jeune et sage Joanna, incarnée à l’écran par la révélation Honor Swinton Byrne (fille de Tilda – qui joue d’ailleurs ici sa mère). Alors étudiante en cinéma, elle est avide de sortir de la bulle de son milieu privilégié. Son éducation artistique s’accompagne d’une éducation sentimentale, auprès d’un homme un peu plus âgé qu’elle, un peu plus arrogant aussi. Un homme ambivalent (« Is she really going out with him ? » nous prévient une chanson à la radio), avec qui elle va pourtant vivre une histoire d’amour sincère et bouleversante.

Ce que Joanna apprend auprès de ses professeurs et son amant, c’est à trouver sa place pour mieux trouver son point de vue sur le monde : « Peu importe la réalité de ce qui a vraiment eu lieu, seule compte la manière dont tu l’as vécu ». Cette formule pourrait aujourd’hui être celle du film. The Souvenir est en effet un drôle de film d’époque. Les marqueurs temporels et culturels de l’Angleterre des années 80 y sont nombreux, et les chansons pop ou punk contrastent avec les splendides intérieurs bourgeois (la direction artistique est l’un des grands ravissement de The Souvenir). Pourtant, tout s’y déroule comme dans un rêve cotonneux, presque détaché de la réalité.

The Souvenir dure deux heures et, comme un diapason hypnotisant, paraît rester sur une seule et même note du début à la fin (y compris au sens propre, tant tous les personnages parlent avec le même ton bas et poli). Mais une note passionnante, d’une élégance à la fois angélique et mortifère, de plus en plus entêtante. Le film est fait d’une multitude d’ellipses et de scènes fort courtes, comme des flashs suréminents. Des souvenirs à première vue anecdotiques, mais dont l’accumulation crée comme un tourbillon. C’est par sa répétition même que la vie quotidienne se dérègle (comme quand à force de discrétion, Joanna finit par s’excuser à foison de mettre un squatteur dehors), et c’est par son rythme magnétique que The Souvenir évite avec grâce l’artificialité redoutée du film d’apprentissage.

Le titre original du film aurait pu être The Memory, mais moins qu’à la résurgence, le mot anglais souvenir fait référence à l’objet, au support et à ce que l’on transfère dessus. Des objets, le film en est d’ailleurs rempli à ras-bord. Le titre fait surtout référence à un tableau du même nom de Fragonard. On dit que la jeune fille représentée sur la toile, qui repense à son amoureux, a tantôt l’air triste ou déterminée. Cette passionnante ambivalence est aussi celle de Joanna, mais surtout du film entier. D’une richesse picturale incroyable, à la fois cafardeux et d’une douceur pastel, The Souvenir ne ressemble jamais à un film sentimental, et se révèle pourtant d’une émotion terrassante.

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par Gregory Coutaut

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