Mostra de Venise | Critique : Stonewalling

Lynn, vingt ans, étudie pour devenir hôtesse de l’air et fait des petits boulots lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte. Indécise et à court de temps, elle rentre chez ses parents qui vivent dans un conflit permanent tandis que la clinique locale est totalement défaillante.

Stonewalling
Chine, 2022
De Huang Ji & Ryuji Otsuka

Durée : 2h28

Sortie : –

Note :

LA GRANDE MURAILLE

Stonewalling est le troisième volet d’une trilogie entamée par la réalisatrice chinoise Huang Ji en 2012 avec Egg and Stone (Grand prix à Rotterdam), poursuivie avec The Foolish Bird (primé à la Berlinale 2017), et dont le thème transversal concerne l’abandon d’enfants. Devant la caméra, on retrouve la même actrice principale Yao Hong-gui. Enfant fragile dans Egg and Stone et désormais adulte, celle-ci interprète ici Lynn, une jeune femme indécise au moment de garder ou non son bébé. L’argument possède un potentiel mélodramatique, mais ceux qui connaissent le cinéma de Huang Ji savent sa rigueur presque froide, son intransigeance avec le réel.

Le réel déborde d’ailleurs un peu de l’écran : les parents de Lynn sont en effet interprétés par les propres parents de la cinéaste et celle-ci est rejointe derrière la caméra par son compagnon, le Japonais Ryuji Otsuka, ici coréalisateur et directeur de la photo. Ce dernier n’en est pas à sa première collaboration chinoise puisqu’il a déjà entre autres signé la photo sur les films de Jie Liu (Judge) ou Liang Ying (When Night Falls, A Family Tour). Là encore, des cinéastes dont l’œuvre traduit une exigence à la fois artistique et politique. Rien d’étonnant à ce que l’on retrouve donc ce double moteur à l’œuvre dans Stonewalling, et ce avec grand succès .

L’image de Stonewalling est d’une puissante beauté, mise en avant par des cadrages rigoureux. Lynn a de quoi s’occuper dans la vie et quand elle apprend sa grossesse, elle n’a pas pour autant l’impression que c’est la fin du monde. Si son avenir lui parait encore incertain, elle n’ignore pas les portes de sortie qui s’offrent à elles. Sauf qu’ici les plans sont délibérément longs et la caméra ne bouge jamais, comme si elle refusait progressivement à son héroïne les issues de secours désirées. Le rythme de Stonewalling n’est pas celui d’un suspens, au contraire, mais l’implacable mécanique de la mise en scène apporte une tension progressive bien réelle. Lynn ne s’en rend peut-être pas compte, mais elle est déjà en prison, face à des murs très solidement ancrés dans la société qui l’entoure.

On pourrait craindre que cette brillante rigueur nous éloigne du personnage telle une épaisse vitrine, mais sous d’austères apparences, Stonewalling gronde en réalité comme un volcan. Cette réussite est en partie celle de l’actrice, dont le simple langage corporel est déjà magnétique. Le mérite en revient aussi beaucoup à l’écriture. Narré avec le bon point de vue, basé sur de nombreux entretiens avec des jeunes femmes ayant connu la même situation, le scénario de Stonewalling respire, riche de nombreuses nuances et d’une incroyable acuité d’observation. Mais le meilleure paradoxe du film est d’arriver à transcender cette approche quasi-documentaire par la force du mélo, sans pour autant verser dans le sentimentalisme ou le misérabilisme. Ce portrait d’une société chinoise capitaliste qui broie les plus faibles et mange ses propres petits est certes sans facilités, mais sa science du rythme fait qu’il se regarde d’un trait, sans ennui. Racontant 9 mois de la vie de Lynn en 2h30, le film prend même progressivement de plus en plus d’ampleur, jusqu’à à atteindre des dimensions d’une saga. Le résultat est à la fois fin et déchirant.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article