A voir en ligne | Critique : Portrait de la jeune fille en feu

1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.

Portrait de la jeune fille en feu
France, 2019
De Céline Sciamma

Durée : 1h59

Sortie : 18/09/2019

Note :

FLAMME DE MON AMOUR

Tous les films de Céline Sciamma pourraient s’appeler Portrait de la jeune fille en feu. Car malgré leur éclectisme, les longs métrages de la cinéaste sont réunis par leurs héroïnes toutes sur le point de s’enflammer : le désir naissant des Pieuvres, la bravoure de Laure dans Tomboy ou les rêves de liberté de Marieme dans Bande de filles. On peut déjà remercier Sciamma d’avoir, en seulement quatre longs métrages, réalisé des portraits aussi complexes, urgents et neufs. Alors que ses films avaient jusqu’alors quelque chose de très contemporain dans leurs thèmes et leur énergie, Portrait de la jeune fille en feu marque une surprenante rupture en sortant les costumes et en se déroulant au 18e siècle.

Un dessin est peu à peu constitué, par touches, au générique de début. Très vite, la dimension picturale de Portrait de la jeune fille en feu saute aux yeux. Lorsqu’on ouvre la porte à Marianne, l’utilisation de la lumière donne effectivement l’impression de regarder une peinture. « Prenez le temps de me regarder », dit-elle quelques scènes auparavant. Prenez le temps de regarder, cela pourrait aussi s’adresser au spectateur. On regarde beaucoup dans Portrait mais, et c’est heureux, on regarde surtout différemment. Le film d’époque n’a pas figé les questionnements du cinéma de Sciamma. Portrait est un film sur le regard et le désir, mais la dynamique installée par la réalisatrice nous sort des lieux communs de l’artiste (généralement masculin) et de sa muse.

La dynamique ici entre celle qui regarde et celle qui est regardée est plus trouble, nuancée et étonnante. Les relations entre les personnages féminins, dans leur ensemble, sont de toute façon différentes de ce qu’on peut voir traditionnellement ailleurs. Pour être plus clair, Sciamma ne filme pas le désir ou l’érotisme comme le ferait un Benoit Jacquot. De plus, le film ne se limite pas à des relations binaires entre ses filles ; et au moment de constater la place accordée à la solidarité féminine et au personnage de la domestique, on pense au meilleur du cinéma pré-code ou classique hollywoodien – à une époque où les films performaient bien davantage au test Bechdel.

Dans Bande de filles, la lumière léchée pouvait éclairer des jeunes filles lors d’une parenthèse musicale sur du Rihanna. Il a quelque chose de plus immédiatement austère, ou du moins contenu dans Portrait. Une épure (la ligne d’horizon au-delà des falaises, le bruit de la pluie, le crépitement du feu, le silence) qui nous concentre sur l’essentiel. Le film casse ce qui pourrait être rigide par le montage (un raccord parfois abrupt avalant une ellipse), le décrochage (comme cette superbe idée musicale) ou la rupture de ton (des touches de fantastique). On parle beaucoup de ce qui est empêché dans Portrait – le talent des femmes artistes, le libre arbitre des femmes, mais Sciamma parvient pour autant à ne pas empêcher le romanesque.

Il y a l’attente mystérieuse qui entoure le personnage d’Héloïse, corps sans visage sur une peinture puis robe sans corps déambulant dans un couloir. Il y a cette scène en clin d’œil à Birth où l’émotion déborde. Il y a le temps qui défile et les signes laissés. Tout cela est très beau et magnifié par les prestations d’Adèle Haenel qu’on n’a jamais vue ainsi et de Noémie Merlant qu’on a l’impression de découvrir. Sciamma réussit à être elle-même en étant tout à fait ailleurs dans ce film vibrant et brûlant.


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par Nicolas Bardot

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