Critique : Peter von Kant

Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma…

Peter von Kant
France, 2022
De François Ozon

Durée : 1h25

Sortie : 06/07/2022

Note :

UN CAMP D’AMOUR

Trois regards lors des trois premiers plans de Peter von Kant : celui de Rainer Werner Fassbinder dans le générique de début, celui ensuite d’Isabelle Adjani affichée au mur, celui de Denis Menochet enfin, face à son reflet dans le miroir. Il est évidemment question de regard et de jeux de miroirs dans cette adaptation par François Ozon des Larmes amères de Petra von Kant, présentée comme une libre relecture. Libre effectivement, car en premier lieu Petra devient Peter, un homme avec une large carrure quand dans le film de Fassbinder on ne croisait que des femmes.

Mais la nouvelle version semble rapidement très proche de l’originale. Par des détails banals mais qui ressemblent à autant d’accessoires indispensables : l’épais tapis blanc et touffu, le jus d’orange pressé, le gin tonic à toute heure de la journée. Les Larmes amères est, à l’origine, une pièce de théâtre, et Ozon remonte lui aussi sur scène comme lorsqu’il avait pu adapter Fassbinder autrefois avec Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. Le texte est fidèle mais le regard du metteur en scène peut, si ce n’est changer, au moins donner une autre dimension – ici méta – à l’histoire. Dans le film original, la théâtralité passait par la mise en scène et la direction artistique. Ici, c’est davantage par le jeu et le curseur poussé vers la farce – soit une variation du théâtre de la cruauté à l’œuvre dans la version de 1972.

L’artifice, la théâtralité, la maison de poupées ou la boule à neige révèlent toujours quelque chose chez Ozon. C’est faux et c’est parfaitement vrai – voilà comment fonctionne l’œil malicieux du cinéaste. C’est une farce, mais ainsi sont les conventions amoureuses comme amicales. Ozon prend au sérieux tout en maniant l’ironie, peut se montrer à la fois grotesque et sentimental : c’est (en partie) ce qui constitue la précieuse dimension camp de son cinéma. Et voilà une large partie du pari de Peter von Kant : prendre l’histoire originelle, déjà camp, et en livrer une version camp au carré. C’est une démarche qu’on pourrait rapprocher de l’expérience vertigineuse, décriée et pourtant fascinante, de Gus Van Sant sur Psycho. Peter von Kant n’est pas un décalque formel plan pour plan du film de Fassbinder. Mais le récit est extrêmement proche, les dialogues sont parfois rejoués comme un.e performer drag accomplirait un lipsync : c’est un hommage fidèle, c’est une réinterprétation personnelle, c’est un gag, c’est une lettre d’amour – tout cela à la fois.

Dans Psycho, Gus Van Sant renversait en quelques ajustements la dynamique sexuelle du film d’Hitchcock. Il y a de cela ici aussi, on passe d’une homosexualité féminine à une homosexualité masculine mais les rapports de pouvoir demeurent assez proches. Même réinterprétées par Ozon certaines théories demeurent : la muette Marlene de l’original était-elle en fait le mari travesti de Petra? Et ici, Karl ne serait-il pas looké comme un drag king? Tout cela s’exprime dans un film qui trouve son entière place dans des thématiques récurrentes d’Ozon comme le rapport iconoclaste à la famille ou l’amour passionné mais voué à l’échec. Les personnages aux fenêtres sont filmés comme en prison à l’image de ses précédents films, et au détour d’une scène on reconnaît la musique de 8 femmes – autre jeu de rôles, autre adaptation théâtrale, autre commentaire camp.

Ce jeu pourrait réduire le film à un sympathique et confortable exercice de style. Réjouissant, le film l’est tout à fait, notamment grâce à ses comédiens – géniaux comme toujours chez le cinéaste. Denis Menochet est sensationnel en double de Fassbinder (rappelons que Petra dans l’original était déjà un libre autoportrait du cinéaste allemand), et il fait pourtant face à une redoutable voleuse de scène en la personne d’Isabelle Adjani. Il y a dans Peter von Kant ce pur plaisir de voir et contempler Adjani, dont le charisme déborde à chaque seconde, et qui se révèle une reine absolue du camp – la voir jeter sa fourrure ferait passer Miranda Priestly pour une simple amateure.

Derrière la farce et le jeu, il y a une émotion sincère et profonde. Pourquoi Ozon donne t-il le sentiment de faire faire du lipsync à ses personnages sur les dialogues d’hier ? Pourquoi les photos amoncelées sur un mur citent pêle-mêle Andy Warhol, Derek Jarman ou Pedro Almodovar ? Pourquoi entend-on la voix de Margit Carstensen, la Petra de Fassbinder, dans le générique de fin ? Pourquoi Ozon a-t-il modifié la fin du film original pour celle-ci, précisément ? Parce que le film délivre à la fois un autoportrait et un portrait collectif de cinéastes et de cinéphiles queer (on serait tenté d’ajouter pour les cinéphiles queer), par un auteur qui a tout compris à la richesse aussi jubilatoire qu’émouvante du camp.

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par Nicolas Bardot

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