Critique : Men

Après avoir vécu un drame personnel, Harper décide de s’isoler dans la campagne anglaise, en espérant pouvoir s’y reconstruire. Mais une étrange présence dans les bois environnants semble la traquer. Ce qui n’est au départ qu’une crainte latente se transforme en cauchemar total, nourri par ses souvenirs et ses peurs les plus sombres.

Men
Royaume-Uni, 2022
De Alex Garland

Durée : 1h40

Sortie : 08/06/2022

Note :

JE SUIS LE SEIGNEUR DU CHÂTEAU

Poussée par un besoin de paix, Harper (l’Irlandaise Jessie Buckey, une fois de plus excellente après Je veux juste en finir) a loué un cottage pour se ressourcer quelques jours en solitaire. Lorsqu’elle arrive pour le visiter au tout début du film, c’est comme si elle débarquait telle Boucle-d’or dans l’accueillante chaumière des trois ours. D’un style datant de plusieurs siècles, comme le fait tout de suite remarquer le propriétaire, cette résidence cossue, perdue dans un coin de campagne pittoresque, combine le charme de l’ancien et le confort contemporain. Rien ne semble manquer et c’est comme si les canapés rembourrés et cosy n’attendaient plus qu’elle. Or la tension étrange et brute qui nappe Men dès ses premières images ne laisse pas de doute sur le fait que l’horreur est déjà tapie quelque part entre ces murs.

Men n’est pas un film de maison hantée, mais le film donne l’impression d’être lui-même bâti comme un cauchemar bizarre et flamboyant, avec ses espaces faussement familiers et ses virages nerveux. D’abord élégante et raffinée, la tapisserie rouge sur les murs rappelle peu à peu ceux, anxiogènes, de Cris et chuchotements puis ceux, carrément flippants, de Shining. Le film ne se contente pas de piocher dans différentes sous-familles du film de genre (la folk horror, le home invasion…), il mélange à son horreur des tons a priori antithétiques, travaillant ainsi une perte de repère de plus en plus vertigineuse. On se demanderait bien si l’on est censés rire ou pleurer devant certaines scènes de Men, si ces moments-là ne nous laissaient pas déjà trop bouche bée pour pouvoir faire l’un ou l’autre.

Il y a un tour de passe-passe incroyable à l’œuvre dans Men. Le film est bref mais ample, terrifiant mais profondément triste, d’une forme brute (les couleurs saturées et criardes remplacent l’élégance glacées d’Ex Machina et Annihilation) et pourtant splendide, d’une grande simplicité et pourtant perpétuellement imprévisible. Men possède un titre d’à peine trois lettres qui semble annoncer le programme de façon trop simple et directe alors que la métaphore qui s’y déploie est d’une fascinante richesse difficile à réduire à une formule.

Alex Garland prend de court avec ce film en forme d’uppercut. La légère misanthropie qu’on pouvait déceler dans le spleen hautain de ses films précédents se transforme ici en cri fou, d’une grande générosité. Men sidère parce qu’il nous donne à voir (d’un simple pommier au ralenti à des fulgurances sorties de Jérôme Bosch ou The Thing) autant que par ce qu’il laisse caché. Cette histoire de princesse en détresse dans son château n’a ni morale ni explication, telle une partie de cache-cache de plus en plus entêtante. On n’en sort qu’en sursaut, comme d’un cauchemar.

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par Gregory Coutaut

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