Critique : Juste sous vos yeux

Sangok, une actrice disparue des écrans depuis des années, rencontre un célèbre réalisateur qui lui propose de jouer dans son prochain film. Malgré son désir de revenir sur le devant de la scène, le grave secret qu’elle renferme la rend hésitante…

Juste sous vos yeux
Corée du Sud, 2021
De Hong Sangsoo

Durée : 1h25

Sortie : 21/09/2022

Note :

PARADIS PERDU

L’héroïne de Juste sous vos yeux retrouve sa sœur après plusieurs années et tente de se réhabituer à la vie en Corée. Où se trouvait-elle auparavant ? Était-elle également une femme qui s’est enfuie, pour reprendre le titre du précédent film d’Hong Sangsoo ? Mystère. « J’ai fait un rêve, mais je ne peux pas t’en parler » confie-t-elle à sa benjamine qui peine à la reconnaître. Cette femme est de retour chez elle mais, comme tous les passionnants personnages du cinéaste, elle se trouve un peu malgré tout In Another country, dans un autre monde, en décalage d’un univers familier mais qui lui échappe.

Le parc en hauteur d’Oki’s Movie, la colline de la liberté de Hill of Freedom… les lieux où seraient enfin susceptibles de s’épanouir les personnages d’Hong Sangsoo semblent modestes et accessibles, mais ils s’évaporent comme des mirages. Dans un émouvant mélange d’ironie et d’amertume, les protagonistes sont condamnés à trotter vers eux avec entêtement, parfois jusqu’à l’absurde. Tantôt femme forte et sans peur, tantôt vieille gamine qui a encore besoin d’argent de poche, l’héroïne de Juste sous vos yeux semble être à la recherche d’un mode d’emploi pour la vie, prête à prier pour enfin apprendre à profiter de l’instant présent.

Ce sentiment de déracinement s’exprime aussi bien au sens propre (avec des touches d’humour piquantes) qu’au sens figuré. On rentre ici dans des commerces où les propriétaires sont étonnamment absents, et les lieux de résidences y sont littéralement décidés par tirage au sort. L’héroïne retrouve les lieux de son enfance, mais le jardin qui lui paraissait si vaste est aujourd’hui bien petit, comme si c’était son horizon tout entier qui s’était raccourci. Qu’est-ce qui se trouve juste sous son nez, alors ? Le paradis, répond-elle. Mais dans sa bouche, ce mot désigne simplement l’heure de faire la sieste, où les moments où ils ne se passent strictement rien (il faut d’ailleurs souligner la place laissée au silence dans le film).

Devant la caméra d’Hong Sangsoo, ce paradis-là a d’ailleurs l’air curieusement artificiel. Les couleurs (surtout les verts des parcs et jardins) y sont étonnamment saturées, donnant au film une forme peut-être moins immédiatement élégante qu’à l’accoutumée. D’abord brèves, les scènes finissent par prendre une profonde respiration à mesure que le scénario se fait plus grave et dramatique. Est-ce le fait que l’héroïne soit plus âgée que les personnages féminins habituels du cinéaste ? C’est comme si le gouffre qui sépare habituellement ses protagonistes de leurs propres illusions se faisait ici encore plus béant, encore plus poignant et funeste. Grâce à cela, et grâce à la performance de la charismatique Lee Hyeyoung (qui aurait pu prétendre à un prix d’interprétation si le film avait été en compétition comme il le mérite), Juste sous vos yeux est un des nouveaux chefs d’œuvres du cinéaste, et l’un de ses films les plus immédiatement poignants.

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par Gregory Coutaut

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