Critique : Gangubai Kathiawadi

L’ascension d’une jeune fille vendue pour être prostituée et qui va devenir une femme puissante dans les années 60.

Gangubai Kathiawadi
Inde, 2022
De Sanjay Leela Bhansali

Durée : 2h32

Sortie : 25/02/2022

Note :

LA DÉESSE

Avant même que l’héroïne éponyme de Gangubai Kathiawadi apparaisse dans la première séquence du film, elle est précédée d’une rumeur. Une mère maquerelle aussi sympathique qu’une ogresse tient une jeune fille enchaînée dans une geôle sale, comme une princesse de conte de fées. La menace gronde : si la fillette n’obéit pas, l’ogresse va faire intervenir Gangubai, une femme dont on ignore encore tout mais dont on pressent que nul ne peut résister au rouleau compresseur de son charisme. C’est une mise en garde pour la jeune fille, mais c’est la plus alléchante des promesses pour nous. Dans ce début de film aux airs de conte, la femme qui s’apprête à passer le pas de la porte dans quelques excitantes secondes ne peut être qu’une légende. Ses pas s’approchent, on la devine au bout du couloir, en quelques instants à peine nous sommes déjà avides d’être terrassés par le récit épique à venir. Que le spectacle commence.

Épique. L’adjectif est taillé pour les films de divertissement musicaux indiens, ces blockbusters pharaoniques, joyaux éclatants garantis sans ironie toc. Il revient de droit à ce film, généreux raz-de-marée de direction artistique aux mille couleurs (rien que pour la colorimétrie, il y a tout une groupe de personnes créditées au générique). L’adjectif convient aussi plus précisément au cinéaste Sanjay Leela Bhansali, qui signe là son meilleur film depuis Devdas, référence parmi les références.

L’histoire de Gangubai Kathiawadi a l’air d’une légende. Plantée dans un coin de rue qui assume complètement de ne ressembler qu’à un décor de cinéma, elle est racontée et mise en scène dans ce sens, et pourtant elle raconte une histoire réelle. Loin des palais impériaux ou des fantasmes coloniaux, le film se déroule dans un quartier chaud de Mumbai dans les années 50, et raconte l’incroyable destinée d’une jeune fille naïve vendue à des proxénètes qui deviendra la mafia queen de la ville, ainsi qu’une ardente défenseuse des droits des travailleuses du sexe.

En débit de ces très chatoyants atours, Gangubai Kathiawadi n’est pas à proprement parler une comédie musicale. Les chansons (très réussies) y sont chantées par une voix off et non par les personnages, et les scènes de danse sont justifiées par le scénario. Sanjay Leela Bhansali ne prend ni son sujet ni son héroïne comme prétexte, et se place résolument du coté de ce combat féministe propice à hérisser les fachos d’hier et d’aujourd’hui. L’histoire d’amour contrariée de l’héroïne prend d’ailleurs ici moins de place que ses combats politiques. Il n’y a pas de nudité dans le film (pas une épaule, en dépit de son sujet), mais dans quel autre film indien de divertissement a-t-on déjà vu une femme boire joyeusement autant d’alcool ? Dans quel autre film a-t-on déjà vu un telle héroïne tout court ?

Dans une société où les stars de cinéma sont déifiés, Gangubai devient plus qu’une héroïne : une divinité. Avec sa succession de flamboyantes manigances et ses personnages de travestis fourbes, avec son héroïne irrésistible et son actrice charismatique (Alia Bhatt), Gangubai Kathiawadi semble être l’adaptation cinématographique de l’expression Yas Queen. On en veut encore, on veut davantage qu’admirer Gangubai : on veut être elle.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article