Critique : Fairytale

« Il était une fois deux vagabonds… Non… Trois… Non, c’est quatre… Mais il y en avait d’autres, beaucoup d’autres… Je les ai connus. Pendant longtemps. Mais avec eux, je me sentais à l’étroit. Puis quelque chose s’est passé et ils ont disparu. La nuit, j’entendais des voix, des fragments de questions complexes, des gémissements, le hurlement de millions de voix… Une excitation inexplicable m’a saisi… »

Fairytale
Russie, 2022
De Alexandre Sokourov

Durée : 1h18

Sortie : 10/05/2023

Note :

OH PHILOSOPHIE, DIS MOI DES ELEGIES

C’est l’histoire d’Hitler, Mussolini, Staline et Churchill qui cherchent Napoléon au purgatoire. Cela ressemble à la première phrase d’une blague, mais c’est le début (ainsi que le milieu et la fin) du nouveau film d’Alexandre Sokourov. Or, ceux qui ont eu la chance d’être éblouis par les précédentes œuvres du maitre russe savent qu’on y rigole peu, voire jamais. Après une décennie particulièrement faste qui l’a vu sélectionné 5 fois en compétition à Cannes en 8 ans (!) avant d’obtenir le Lion d’or en 2011, Sokourov n’avait pas retrouvé le chemin de nos grands écrans depuis 6 ans. A cette attente impatiente, il répond avec ce fort singulier Fairytale, qui peut se lire à la fois comme un bilan et un nouveau départ.

Fairytale regroupe en effet une poignée d’hommes de pouvoir déjà croisés parmi les biographies politiques et poétiques du cinéaste, tels Hitler ou Staline, protagonistes respectifs de Moloch ou Taurus. Pour un peu, on se croirait ici devant une fiction méta ou l’artiste imaginerait une vie après la mort pour ses propres personnages. Le vain désir d’échapper à la mortalité traverse l’œuvre de Sokourov, de façon métaphorique (le pacte de Faust, les paradoxes temporels de L’Arche russe) ou de manière plus terre-à-terre dans la mégalomanie malade de ces dictateurs en fin de règne. Il y a donc une certaine logique à voir ici ces despotes s’impatienter devant la porte du Paradis qui leur demeure fermée et négocier pathétiquement avec une « force suprême ».

La métaphore est bien vue mais elle peine à tenir la longueur paradoxalement éprouvante de ce film court d’1h18. Certaines trouvailles (chacun s’exprime dans sa propre langue), fonctionnent mieux que d’autre (chaque despote rencontre… son propre double?) et le résultat de cette errance nébuleuse sans évolution finit hélas bien vite par ressembler à un purgatoire pour le spectateur aussi, un magma répétitif et anxiogène où se croisent des monologues philosophiques avortés d’une opacité maousse. Le pitch a beau ressembler à celui d’une blague, Fairytale est peut-être bien le film le plus assommant de Sokourov. En revanche, et ce n’est pas un mince compliment, c’est l’un des plus stupéfiants visuellement.

Des les premières images, la mise en scène de Fairytale trône sur des sommets hallucinés, avec ses lumières orangées qui transforment un orage en explosion volcanique, ses variations d’échelles et, plus inattendu, ses papiers découpés. Contrairement à ses biopics précédents, Sokourov ne fait pas interpréter ses personnages de dictateurs par des acteurs. Il a extrait leurs images en mouvements dans des films d’époque pour les incruster ici dans des gravures anciennes figurant des ruines et des grottes angoissantes. Seuls les mouvements de leur bouche ont été modifiés afin qu’ils collent aux dialogues inventés par le cinéaste. Le résultat est une perte de repère unique, proprement inclassable, évoquant aussi bien L’Anglaise et le duc que les sketchs de Karl Zéro ou les frères Quay.

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par Gregory Coutaut

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