Critique : EO

Le monde est un lieu mystérieux, surtout vu à travers les yeux d’un animal. Sur son chemin, EO, un âne gris aux yeux mélancoliques, rencontre des gens bien et d’autres mauvais et fait l’expérience de la joie et de la peine, mais jamais, à aucun instant, il ne perd son innocence.

EO
Pologne, 2022
De Jerzy Skolimowski

Durée : 1h29

Sortie : 19/10/2022

Note :

NOUS, LES ANIMAUX

A l’origine du grand retour de Jerzy Skolimowski (son dernier long métrage, 11 Minutes, remonte à il y a sept ans), se trouve bien sûr une autre œuvre : Au hasard Balthazar de Robert Bresson, dont le protagoniste était déjà un âne observant les différents humains qu’il rencontre au cours de sa vie. « Le seul film qui m’ait ému aux larmes », confie le cinéaste polonais dans le dossier de presse. Balthazar laisse place à EO, un âne qui va connaitre plusieurs vies différentes dans sa courte existence à mesure qu’il va changer de propriétaire : travail au cirque ou en écurie, la vie en liberté en pleine nature et même la traversée des frontières européennes.

Si l’âne de Bresson servait davantage de prétexte à un portrait de la société des Hommes, qui prenaient toute la place devant la caméra, celui de Skolimowski demeure le véritable protagoniste du film, dont le titre n’est d’ailleurs que le nom, sans fioriture. Eo rencontre bien différents humains plus ou moins bien intentionnés (la brutalité de certaines scènes peut d’ailleurs surprendre dans un tel contexte), mais les quelques moments où l’âne disparait au profit des humains ne sont pas les plus palpitantes, comme hélas le segment avec Isabelle Huppert. En revanche, les meilleures scènes du film sont celles où l’animal baguenaude seul au hasard, sans psychologie mais avec poésie.

Le scénario d’EO est d’un minimalisme radical, ouvrant çà et là des pistes de récits pour mieux les abandonner avec une absence d’explication ou de morale d’abord joyeuse puis quelque peu amère. La mise en scène a en revanche beaucoup d’effets à nous montrer. Lorsque le film débute, éclairé de rouge, on ne sait pas très bien si l’on assiste à une scène de crime ou une scène de danse. Fish eye, couleurs rouges saturées, images parfois distordues, bords d’images délibérément flous… les gimmicks de Skolimowski ne sont pas toujours révolutionnairement contemporains mais font néanmoins leur effet. Le résultat est tantôt délibérément barbare (des guitares hurlantes et des cieux couleur sang) tantôt sublime (une errance en forêt au clair de lune), comme s’il était porté à la fois par des pulsions de vie et des pulsions de mort. EO est un film très bref, faussement simple, où bat un cœur finalement très étrange. Tant mieux.

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par Nicolas Bardot

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