TIFF 2023 | Critique : Charcoal

Dans une région reculée de la campagne de São Paulo, une famille qui vit à côté d’une usine de charbon de bois accepte d’accueillir un mystérieux invité étranger. La maison devient bientôt une cachette, car le soi-disant invité se trouve être un baron de la drogue très recherché. La mère, son mari et son enfant devront apprendre à partager le même toit avec cet étranger, tout en maintenant les apparences d’une routine paysanne inchangée.

Charcoal
Brésil, 2022
De Carolina Markowicz

Durée : 1h47

Sortie : –

Note :

LES NUITS AVEC MON ENNEMI

Charcoal s’ouvre sur des chants religieux sirupeux dont les paroles, tel un panneau qui indiquerait la bienvenue à l’entrée de la ville, nous annoncent « Dieu t’a amené ici pour mettre fin à tes soucis ». Mais quel est cet « ici » prometteur ? Un village pourtant pas très folichon, à la périphérie de São Paulo. Irene, Jean et leur fils vivent eux-même dans cette banlieue campagnarde, dans une maison isolée qui contient une usine à charbon de bois qu’ils gèrent manuellement, bon an mal an. « Dieu veut que tu souries » poursuit le naïf couplet gospel. Mais entre la poussière, l’épuisement, les galères financières et un grand-père malade, qui aurait le cœur d’obéir à ce commandement-là ?

Sur les conseils d’une infirmière grotesquement louche, Irene et sa famille acceptent, contre rémunération, d’héberger un inconnu dans le besoin. Leur porte ne s’est même pas encore refermée sur cet invité mystère qu’on devine le ciel prêt à tomber joyeusement sur la tête des protagonistes. Il y a en effet dans Charcoal une appétissante promesse, dès le décalage étonnant de la prière d’ouverture, dès le culot monstre de cette infirmière ou du prêtre qui fait culpabiliser les pauvres depuis son opulente église : celle d’un humour réjouissant, à la fois féroce et absurde.

Absurde : qu’est-ce qui ne l’est pas dans le Brésil d’aujourd’hui ? Voilà Irene et les siens contraints de cohabiter malgré eux avec un envahissant mafieux. Et comme si la situation ne suffisait pas, voilà que la promiscuité imposée par les dimensions réduites de ce cabanon en ruines réveille la libido de chacun, parfois dans des directions inattendues. La réalisatrice Carolina Markowicz (lire notre entretien) fait de cette maison de fous une métaphore du pays entier, de ses habitants médiocres leurrés par l’appât du gain ou bien victimes du syndrome de Stockholm face à un maboule autoritaire.

Charcoal pourrait être méchant, il s’autorise à l’être parfois (avec succès), mais la réalisatrice a trop de respect et d’affection pour ses personnages pour les assommer de cruauté. A l’image de la fournaise de l’usine à charbon qui brûle en permanence, il y a dans les yeux d’Irene (excellente Maeve Jinkins, vue dans Les Bruits de Recife et Aquarius de Kleber Mendonça filho, ou encore Rodéo), un feu qui ne s’éteint jamais. Lauréate de la Queer Palm en 2018 pour son court O Órfão, Markowicz laisse malgré tout de la place dans cette comédie mordante pour un espoir politique galvanisant. A moins que ce rire soit avant tout, comme on dit, la politesse du désespoir.

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par Gregory Coutaut

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