Critique : Avec amour et acharnement

Jean et Sara vivent ensemble depuis dix ans. Quand ils se sont rencontrés, Sara partageait la vie de François, le meilleur ami de Jean et son grand admirateur à l’époque où Jean jouait au rugby en professionnel. Jean et Sara s’aiment. Un jour, Sara aperçoit François dans la rue. Il ne la remarque pas, mais elle est submergée par la sensation que sa vie pourrait soudainement changer. Pour la première fois depuis des années, François reprend contact avec Jean et lui propose de retravaillent ensemble. Se déclenche alors une spirale incontrôlable…

Avec amour et acharnement
France, 2021
De Claire Denis

Durée : 1h56

Sortie : 31/08/2022

Note :

AMOURS FOUS

D’abord des images idylliques : Sara et Jean sont en vacances quelque part dans un lieu qui n’a l’air d’appartenir qu’à eux, ils s’aiment et avancent ensemble dans l’eau, la mer est calme mais on discerne pourtant des orages lointains. En un cut abrupt et un contraste violent, nous voilà avalés dans un tunnel de métro, de la plage de carte postale à la ligne 1. La musique dramatique et hantée de Tindersticks semble nous prévenir : si l’amour à l’image est véritable, celui-ci est déjà comme damné.

Avec amour et acharnement est le nouveau film de Claire Denis, et il porte sa marque très distinctive. D’abord parce que, comme la plupart du temps dans sa filmographie, il est difficile de réduire le long métrage à un sujet (comme c’est le cas entre autres pour J’ai pas sommeil, Beau travail ou High Life) sans rendre trivial le vertige dans lequel la cinéaste nous fait plonger. C’est une histoire d’amour, des histoires d’amour, dont le curseur du romanesque est poussé jusqu’au paroxysme – la passion comme la jalousie rendent totalement fous. Cela est pourtant traité à la façon d’un film d’horreur et d’angoisse, qu’il s’agisse de la bande sonore ténébreuse comme des gros plans anxiogènes – Juliette Binoche à travers une porte est une image qui paraît citer… Shining de Kubrick.

C’est une histoire de couple dans un appartement parisien, ce pourrait être vu mille fois mais le film envoie assez violemment valser les conventions du cinéma bourgeois – il y a en effet une aspérité vénéneuse omniprésente dans le long métrage de Denis. Comme souvent chez la réalisatrice, il y a dans son cinéma une dimension fuck you, une manière de ne jamais caresser dans le sens du poil, de plaire, de se compromettre, d’obéir à un format ; c’est précisément ce qui le rend vibrant, unique et émouvant.

Mais ce n’est pas une émotion facile qui parcourt Avec amour et acharnement. On est parfois sonné par ce long métrage violent, dont la caméra est électrique (avec une photo signée cette fois Eric Gautier) et où l’on ne craint jamais le ridicule. Le film est très dialogué, servi à la perfection par l’ensemble du casting. Mais il laisse paradoxalement toute une place au non-dit, au mal dit, aux pointillés et aux mensonges. Denis et sa co-scénariste Christine Angot (qui ensemble adaptent un livre de cette dernière) délivrent une passionnante étude de couples et de caractères qui ne ménage jamais ses protagonistes. Ils sont attachants, ils peuvent être beaux, ils sont aussi médiocres et décevants. « On est enfermé dans nos identités », vocifère Jean, ce dernier ne se rendant même pas compte qu’il est une caricature de papa universaliste « qui ne voit pas les couleurs ». Sara, au micro de la radio où elle travaille, est à l’écoute du monde, comme une vigie, mais se retrouve totalement centrée sur elle-même lorsque ses sentiments débordent.

Il y a pourtant bien un monde autour, que Denis suggère. Là aussi, difficile de réduire le long métrage : c’est un film qui peut parler du monde ou de la France sans que ça ne soit jamais le propos, c’est un film dont les protagonistes sont tournés sur eux-mêmes mais qui dépeint une humanité comme on ne la voit jamais ailleurs. Et on sort KO de ce nouveau long métrage par une cinéaste qui décidément ne ressemble qu’à elle.

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par Nicolas Bardot

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