Critique : Drive My Car

Alors qu’il n’arrive toujours pas à se remettre d’un drame personnel, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, accepte de monter Oncle Vania dans un Festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de Misaki, une jeune femme réservée qu’on lui a assignée comme chauffeure. Au fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à faire face à leur passé.

Drive My Car
Japon, 2021
De Ryusuke Hamaguchi

Durée : 2h59

Sortie : 18/08/2021

Note :

VOITURE DE LUXE

« C’est quelque chose qui reste en moi comme une interrogation », écrit Haruki Murakami dans sa nouvelle Drive My Car. Cette interrogation offre un terrain ô combien cinégénique – et on sait à quel point les récits de Murakami peuvent se prêter au cinéma comme récemment avec Burning de Lee Chang-dong, adapté d’une de ses nouvelles. Malgré ses 3 heures, Drive My Car du Japonais Ryusuke Hamaguchi est également adapté – ou plutôt librement inspiré – d’un court récit d’une quarantaine de pages. L’histoire se déploie ici et l’interrogation de Murakami, qui tirait son mystère de sa concision, devient vertigineuse chez Hamaguchi.

Lors d’une précédente interview, le cinéaste japonais commentait son film-fleuve Senses avec cette question : « comment pouvons-nous exprimer honnêtement nos sentiments dans notre société ». C’est l’un des motifs centraux du cinéma de Hamaguchi où l’on joue des rôles consciencieusement appris, des rôles dont on essaie parfois de s’émanciper, qu’il s’agisse des épouses de Senses s’interrogeant sur leur avenir ou de l’héroïne de Asako I&II dont la dualité apparaît dès le titre. Dans Drive My Car, où les personnages préparent et répètent inlassablement une adaptation théâtrale d’Oncle Vanya, on joue littéralement des rôles. Le film est peut-être trop lisible ou souligné dans son parallèle entre le théâtre et la vie réelle, mais le script d’Hamaguchi – scénariste extraordinaire – est plus riche que cela.

L’atelier, lieu qui était au centre d’une très longue et fascinante séquence de Senses, promettait « des manières non-conventionnelles de communiquer avec les autres ». Cette communication souvent entravée est également l’un des thèmes chers au cinéaste. La pièce lue et répété ad nauseam dans Drive My Car constitue aussi un commun effort pour dompter ses émotions : en les cachant, en les verbalisant, en jouant celles des autres. C’est un travail collectif pour que chacun trouve sa place. La plupart des films d’Hamaguchi, cinéaste profondément humaniste, s’interroge sur la meilleure manière de prendre soin des autres – et c’est aussi ce dont il est question ici.

Drive My Car décrit un cheminement long et progressif, et il est important d’éprouver cette longueur. C’est un film où l’on dit et redit : « tout cela finit par ressembler à des soutras », ricane l’un des personnages. Tout semble clair, mais on revient finalement peu à peu à l’interrogation initiale. Il n’y a guère de mystère sur ce que le texte théâtral de Drive My Car peut révéler ? Le long métrage d’Hamaguchi est pourtant un film de mystères, d’inconnues, d’ombres indistinctes. Comme ce sublime premier plan où l’héroïne est filmée tel un spectre, racontant une histoire de fantômes. Un plan qui ressemble d’ailleurs à un clin d’œil à Burning et à son inoubliable scène en clair-obscur.

Il y a bien sûr les mots à écouter dans Drive My Car, mais il y a bien plus que les mots. La langue des signes offre une respiration particulièrement expressive et son silence est poignant. Le son, dans le film, accompagne, ponctue, puis cesse. On ne distingue plus parfois les larmes du collyre. Drive My Car témoigne à nouveau de ce mélange propre au cinéaste, entre un cinéma cérébral et bouleversant, un dialogue déjà très présent dans son récent Wheel of Fortune and Fantasy. Le romanesque et le théorique se mêlent harmonieusement dans Drive My Car, même si le film manque du flamboyant coup de folie qui pouvait rayonner dans Senses ou Asako. Il est néanmoins d’une très grande beauté formelle, une élégance qui souligne un ton étrange et pourtant paisible. Libre, ambitieux et émouvant, Drive My Car confirme que Ryusuke Hamaguchi est actuellement l’un des plus grands.

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par Nicolas Bardot

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