Les Arcs Film Festival | Entretien avec Zhannat Alshanova

History of Civilization est réalisé par la Kazakhe Zhannat Alshanova. Primé au Festival de Locarno cet été, ce court métrage raconte les dernières heures au Kazakhstan d’une enseignante qui se prépare à partir pour le Royaume-Uni. Dans un curieux clair-obscur, la réalisatrice signe un portrait minimaliste où l’épure et la retenue d’informations laissent une excitante place à la suggestion. History of Civilization fait sa première française aux Arcs Film Festival et vous pouvez le voir en ligne. Zhannat Alshanova est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de History of Civilization ?

J’ai changé de pays à plusieurs reprises et j’ai constaté que le moment où vous décidez de partir vous donne une nouvelle perspective. On a l’impression de faire soudainement un zoom arrière, de voir ce que vous laissez derrière vous et pourquoi. Parfois, c’est un sentiment tentant d’arrêter le train et de rester. Je voulais explorer la tourmente derrière le rationnel, mais aussi remettre en question ce que la protagoniste recherche réellement ou ce qu’elle fuit.

Votre utilisation de la pénombre et du clair-obscur est remarquable dans votre film.Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre approche visuelle de History of Civilization ?

Nous avons eu une excellente collaboration avec le directeur de la photographie Leandro Ferrao et la décoratrice Sasha Shegay. Nous avons discuté du voyage émotionnel du personnage et de ce qu’elle ressent dans chaque scène et chaque plan. Comme il n’y a pas beaucoup de dialogues pendant le film, nous avons vraiment essayé d’exprimer le monde intérieur d’Indira avec le langage visuel, de sorte que l’utilisation de la lumière devienne une ponctuation dans son voyage.

J’aime vraiment le développement de l’histoire que nous avons réalisé à travers l’esthétique, car celle-ci soutient parfaitement le récit psychologique. Il y a la mélancolie d’une salle de classe à l’éclairage tamisé qui est soudainement brisée par l’expressivité d’un club la nuit, puis il y a cet escalier aux lumières feutrées qui devient un endroit plus intime. Puis le toit qui pour moi représente une sensation irrésistible de liberté et la paix, enfin, au petit matin.

History of Civilization laisse de la place aux ellipses, au mystère, à la suggestion. Comment avez-vous incorporé cela lors de l’écriture du film ?

Mon idée principale était de me lancer dans ce voyage avec le personnage principal – Indira. Le film ne devait pas être à la traîne derrière elle ou la dépasser. Quand elle doute, le film doute. Quand elle se sent dépassée, le film aussi. Parfois, nous ne savons pas exactement ce que nous pensons ou ressentons à un instant particulier, nous avons besoin de temps et d’espace pour être en mesure de traiter la situation. Parfois, nous comptons aveuglément sur l’intuition ou une impulsion, et c’est un mystère pour nous-mêmes, un mystère pour Indira – d’où le mystère du film. Alors, en écrivant, j’essayais juste de rester aussi près d’Indira que possible afin de suivre son voyage intérieur.

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Il y a tellement de cinéastes que j’admire, mais récemment je pensais à Claire Denis et Yorgos Lanthimos. Par exemple, Vendredi soir a été l’une des inspirations pour History of Civilization. C’est une histoire si simple, mais elle m’a totalement mise sur des montagnes russes émotionnelles ! J’ai récemment re-regardé The Lobster et j’ai adoré la structure du film et son langage ! Vous savez, il y a tellement de grands films, mais parfois quelque chose vous frappe ! Il peut s’agir d’une réplique, d’un plan, d’un personnage, d’une tournure inattendue de l’histoire… J’aime recueillir ces moments et les stocker dans ma bibliothèque intérieure, en espérant qu’à un moment donné, ils vont déclencher une étincelle dans mes films.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

The Painter and the Thief de Benjamin Ree ! Je l’ai vu à Sundance avec un public super et l’équipe du film. J’ai ri, j’ai pleuré, je n’avais aucune idée de la direction qu’allait prendre ce documentaire et j’ai apprécié chaque instant de celui-ci ! Regarder un grand film vous rappelle pourquoi vous avez décidé d’être cinéaste. Je pense que pour moi c’est un film important parce qu’il parle beaucoup de la moralité et de la vulnérabilité de l’artiste.

J’ai adoré le film, mais j’ai aussi adoré l’expérience de le regarder au cinéma, avec l’énergie du public, avec les applaudissements sans fin à l’équipe, avec l’appel vidéo très touchant à l’un des protagonistes qui n’a pas été en mesure de voyager, avec les tremblements sur scène, avec les questions-réponses d’après la séance, avec les discussions en continu à l’extérieur du cinéma, quand tout le monde est gelé mais que personne ne veut pas partir.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 25 novembre 2020.

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