Festival de Mannheim-Heidelberg | Entretien avec Nicolaas Schmidt

Le tout meilleur film de la dernière édition de Locarno est un moyen métrage. Dans FIRST TIME [The Time for All but Sunset – VIOLET], le cinéaste allemand Nicolaas Schmidt filme les prémices d’une rencontre entre deux garçons dans le métro d’Hambourg, racontée par une unique plan séquence de trois quarts d’heure. A la fois radical et câlin, le résultat est unique, et proprement bouleversant. Retour sur notre entretien à l’occasion de la sélection du film au Festival de Mannheim-Heidelberg.


Quel a été le point de départ de votre film ?

Le précédent film que j’avais réalisé obéissait déjà à une forme similaire, puisqu’il s’agissait également d’un plan séquence documentaire de style performatif. Je dois dire que ça rendait beaucoup mieux que ce que je m’étais imaginé. C’est cela qui m’a poussé à retenter l’expérience sur un format plus long cette fois. Ce qui m’intéresse, c’est explorer le champ de tension qui existe entre le suspens et l’ennui, entre l’activité et la passivité du spectateur. Voilà ce que j’aime étudier dans mon travail, et je me base souvent sur des événements réels de la vie quotidienne.

Dans le générique de début, vous présentez First Time comme un « film musical fait de sensations communes ». Pourriez-vous m’en dire plus sur ce que cette formule signifie pour vous ?

Comme le chante Robin Beck dans la chanson First Time qui illustrait les publicité pour Coca-cola dans les années 90, « Les sensations ne peuvent pas être décrites avec des mots ». Je suis bien d’accord avec elle, même si ma coscénariste Anne Döring m’a appris qu’Emmanuel Kant avait déjà écrit sur le sujet. Que l’on parle d’expériences culinaires, d’amour, de poésie ou même de cinéma, les sentiments sont tellement complexes que les mots de paraissent pas suffisants pour les exprimer.

Quant à l’aspect musical ? Je dirais que le film se référence à une expérience qui fait partie de notre quotidien à tous : Le moment où l’on se recentre sur soi-même et on se crée une « intimité » minimale dans l’espace public, rien qu’en mettant un casque pour écouter de la musique. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il y a un gouffre entre le cocon que l’on se crée alors et le « monde extérieur », il y a plutôt des mouvements transitoires. La musique que l’on perçoit dans le casque colore le monde extérieur, nous connecte avec les gens et les objets autour de nous. On a souvent l’impression de se retrouver au milieu d’un décor imaginé et mis en scène spécialement pour la chanson qu’on écoute. En même temps, on est ici témoin de l’expérience collective quotidienne qui consiste à être en mouvement et à se retrouver dans la peau de l’auditoire des musiciens des rues, qui participent à leur tour à créer une nouvelle atmosphère.

Les différentes musiques du film (les chansons comme les pistes instrumentales) créent leur propre narration à travers le film. Selon quels critères les avez-vous sélectionnées et avez-vous décidé de leur ordre ?

Je les ai découvertes à travers un long processus de sélection. La chanson principale est signée Iason Roumkos, un camarade de classe. Je suis fan de sa musique. Il a rallongé la version originale du morceau en y ajoutant une composition spécialement pour le film. Nous avons beaucoup discuté lui et moi de ces moments où l’on rencontre quelqu’un dans le métro, où l’on ressent des vibrations ou des tensions mais où l’on reste incapable de décider si l’attirance que l’on ressent est seulement dans notre tête.

Les autres morceaux que l’on entend en introduction (par Eduard Tokuyev et son groupe Nearr) et à la fin (par Tim Slim, un ami proche) m’accompagnent déjà depuis longtemps. Ils expriment une tension entre une profonde mélancolie et un espoir, et c’est magnifique. J’avais décidé d’avance que ces morceaux ferait parti d’un de mes films.

Julia Lohmann et vous êtes tous deux crédité.e.s à la photo. Comment avez-vous travaillé ensemble pour créer les variations d’atmosphère à travers ce long plan-séquence ?

C’est Julia qui s’est occupée de capturer ce plan-séquence fixe, de telle sorte que je pouvais alors m’occuper d’autres détails concernant le décor, les figurants et la continuité temporelle. Les différentes atmosphères sont générées par des changements de lumières et de couleurs à l’extérieur du wagon : nous avons tout simplement capté cette heure dorée juste avant le coucher de soleil. Nous ne l’avons que peu altérée en post-production. Quant aux photos de que l’on voit au début du film, c’est moi qui les ait prises.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Gus van Sant, Philippe Garrel, Corinna Schnitt. J’adore également profondément les personnages des films de Maren Ade.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

En ce moment, je suis en train de travailler sur mon premier long métrage, ce qui me donne un nouveau but à atteindre : montrer l’évolution des personnages sans distance cynique ou ironique mais pas non plus de façon trop pathétique ou pire encore, morale et pseudo-critique. Les choses ne sont jamais simplement dichotomiques. Je pense que le film allemand Toni Erdmann (qui n’est pas si récent que ça, j’en ai bien conscience) est un excellent exemple qui montre à quel point les relations et les sentiments sont complexes et polyvalents.

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 13 Août 2021. Merci à Marijana Harder.

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