Festival Black Movie | Entretien avec Natyvel Pontalier

Natyvel Pontalier vit entre le Gabon et la Belgique. Dans son documentaire Sur le fil du zénith, elle examine finement l’histoire manquante et la colonisation. Ce long métrage est sélectionné cette semaine au Festival Black Movie. Natyvel Pontalier est l’invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Sur le fil du zénith, qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

Lors du décès de ma grand-mère en 2015, il y avait des rumeurs sur l’existence de reliques familiales qu’elle conservait dans sa chambre. Et des membres de ma famille s’interrogeaient sur qui avait pris ça. C’était des spéculations. J’entendais cette histoire sans vraiment y croire, une extrapolation, des histoires farfelues qu’on raconte après le décès des gens. Quelques années plus tard, lors d’une discussion banale avec ma tante qui m’a élevée, elle me raconte que la relique familiale a bien existé depuis le temps de mon arrière grand-père, la dernière personne à l’avoir eu officiellement était la sœur ainée de ma grand-mère.

Lorsque j’ai appris cette histoire, je me suis vraiment interrogée sur qui était vraiment ma grand-mère que je pensai totalement chrétienne. En me posant cette question sur ma grand-mère, je me posais alors la question sur moi-même deux générations après, sur qui on était avant mais surtout sur qui nous sommes vraiment aujourd’hui.

En quoi la voix (qu’il s’agisse de votre voix-off de narratrice, ou les voix des différent.e.s interlocutrices et interlocuteurs) constitue-t-elle un motif central dans ce film qui traite de mémoire et de transmission ?

Évoquer l’Histoire de mon peuple avant la colonisation autrement qu’à travers les livres ethnologiques ou les histoires de colons, je ne pouvais le faire que par la parole. L’Histoire chez nous elle est implicite à travers les gestes, les rituels, les cérémonies qu’on répète de génération en génération. Il y a aussi la parole, la langue, la généalogie qui se transmet de génération en génération. L’importance de la parole dans la transmission c’est qu’elle évolue avec les gens qui la racontent. L’histoire n’est pas figée comme dans les livres, elle s’adapte à chaque fois avec son temps et aussi son transmetteur. De la même manière, par ma voix-off, je prends le relais pour transmettre l’histoire avec les questionnements inhérents à mon époque et mon statut de membre de « la diaspora »…

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la scène de rituel qu’on peut voir dans votre film, sur la façon dont celle-ci a été filmée ?

J’avais l’idée dans un premier temps de filmer un temple avec des rituels syncrétiques, j’avais envie de montrer comment les symboles du christianisme et de la tradition s’entremêlent. Je cherchais à filmer une veillée de cérémonie avec cette idée de balise. Appartenant à un réseau d’initiés, ma mère spirituelle m’a recommandée à un temple et nous y sommes allés sans repérage.

Nous avons filmé de 23 à 4h du matin sans savoir vraiment ce qui allait en sortir ; on s’attendait à ce qu’il y ait un esprit qui se manifeste mais rien n’était sûr. Nous avons filmé de manière frénétique, comme si nous étions nous-mêmes en transe avec ces danses et ces musiques qui tournaient en boucle. Il n’y avait pas vraiment de début ou de fin, pas un moment climax prévu à un instant T de la cérémonie.

Quand l’esprit est apparu, nous filmions ailleurs à vrai dire, il nous a fallu un moment avant de nous rendre compte qu’il se passait quelque chose. Nous avons simplement accueilli ce moment, en filmant ce personnage/esprit qui revenait de l’au-delà pour se manifester dans le film.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

J’ai eu plusieurs cinéastes de prédilection déjà en tant que cinéphile, je pense que le premier film documentaire qui m’a vraiment donné envie de faire du documentaire c’est Dans le noir de Sergey Dvortsevoy. C’est un film qui m’avait énormément touchée autant pour son personnage que son dispositif simple et le travail du son. Je peux dire que c’est l’un de mes réalisateurs préférés même s’il ne fait plus de films. J’aime aussi le travail de Johan van der Keuken, ce qui m’a impressionné avec lui c’est le travail sur la désynchro notamment dans son film Les Vacances du cinéaste et son mélange d’images hétérogènes. J’aime aussi le travail de récit de la voix-off de de Chris Marker. Et le travail dans une approche plus expérimentale, sensorielle de Pierre-Yves Vandeweerd. 

Pour Sur le fil du zénith c’est le travail sur la mémoire des territoires de Ruth Beckermann notamment avec son documentaire Pont de papier qui m’a beaucoup inspirée. J’aime aussi le travail de Chantal Akerman, à travers son travail sur les travellings.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

De mémoire Pain is Mine de Farshid Akhlaghi, c’est un court métrage que j’ai trouvé assez incroyable l’année dernière. Ce film m’a vraiment marquée dans son approche sur la subjectivité du personnage. 

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 21 janvier 2022. Un grand merci à Pascal Knoerr.

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