Festival de Vesoul | Entretien avec Kislay Kislay

Le jeune Indien Kislay Kislay s’est distingué lors du dernier Festival de Busan avec son premier long métrage, Just Like That. Ce film prometteur et nuancé, entre comédie tendre et drame plus sombre, raconte l’histoire d’une veuve qui, au grand dam de sa famille, décide de mener la vie qu’elle désire. Kislay Kislay, sélectionné cette semaine au Festival de Vesoul, est notre invité.

Quel a été le point de départ de Just Like That ?

Just Like That a été écrit par étapes. Au départ, j’avais prévu de faire un court métrage basé sur cette nouvelle de Brecht où une vieille femme commence à faire des petites choses un peu maladroites. En Inde, de telles histoires sont communes mais d’une manière différente, vous trouverez beaucoup d’histoires de vieille femme capricieuse mais elles explorent habituellement le domaine religieux. J’ai pensé qu’il serait intéressant d’explorer le voyage de cette femme sans avoir recours à la religion.

Par ailleurs, les discours en Inde vont vers un nationalisme agressif, il y a un regain d’intérêt à présenter une image sainte de la nation en tant que « mère Inde ». J’ai donc pensé qu’il serait intéressant d’avoir une mère qui délaisse sa nature sacrificielle pour devenir presque égoïste. Mais en écrivant le script, j’ai senti que j’avais besoin d’explorer le point de vue d’autres personnages, parce que ce sont les gens (façonnés par le temps, la tradition et leur nature particulière) qui rendent les structures sociales complexes.

J’étais dans ma ville natale et j’ai pu voir que la politique de mon pays ainsi que la nature de ma ville changeaient simultanément. J’ai pensé que je devais capturer ces moments dans le film, pour montrer comment les grands événements et les micro-événements entrent en collision et se nourrissent les uns des autres.

Comment avez-vous abordé le travail visuel pour raconter cette histoire en particulier ?

J’avais vu des illustrations de Sally Nixon où elle montrait des femmes faisant leur travail quotidien, banal, dans un style très objectif, factuel. Nous avons essayé de dépeindre Mme Sharma comme une femme ordinaire parmi les femmes comme on les voit dans les centres commerciaux, les salons, auprès des panneaux d’affichage, dans les rues, etc. Nous avons également essayé en particulier d’aller très près des personnages avec la caméra. Nous avons utilisé de longues prises pour tenter de saisir le temps qui passe, pour faire ressentir au public le quotidien. Plus que le montage, nous avons essayé d’utiliser le mouvement des personnages pour révéler quelque chose sur eux.

En ce qui concerne la conception du décor, nous voulions montrer qu’autrefois la maison a été conçue selon les désirs du défunt mari, mais après sa mort, par petites touches, Mme Sharma découvre son propre espace et la façon dont elle se met à l’aise dans la maison comme dans sa tenue. En outre, nous sommes passés d’une palette plutôt brune à un environnement légèrement coloré lorsque Mme Sharma change la maison.

Dans quelle mesure diriez-vous que Just Like That est un film féministe sur l’émancipation ?

Si je dois définir le propos de Just Like That, je préfère dire que c’est un film sur la structure familiale et le patriarcat. L’envie de départ était de raconter l’histoire de cette famille à travers ce qu’on peut comprendre du milieu culturel de la société du nord de l’Inde et la tendance totalitaire qui est présente. Et puis il y a aussi ceci qu’on remarque peu : les femmes dans le film sont aussi « patriarcales » que les hommes (y compris Mme Sharma).

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Nuri Bilge Ceylan – la façon dont il déplace le point de vue d’un personnage à l’autre nous fait ressentir l’importance de ce voyage. Et puis son utilisation des ellipses. Il se concentre sur des événements quotidiens pour révéler sur la psychologie humaine. J’admire le travail de Fassbinder et particulièrement ses personnages féminins (Tous les autres s’appellent Ali me vient immédiatement à l’esprit). Jia Zhang-Ke pour sa capacité à dépeindre et capturer une société en mutation. Antonioni et Haneke aussi.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Je ne regarde pas beaucoup de nouveautés, en général je finis toujours par regarder des films de grands maîtres. Mais j’ai vu Faute d’amour de Andrey Zvyagintsev et j’ai aimé découvrir ce réalisateur que je ne connaissais pas jusque-là. C’est le même sentiment que quand j’ai découvert Uzak de Nuri Bilge Ceylan et Pickpocket de Jia Zhang-Ke.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 24 novembre 2019. Un grand merci à Shwetaabh Singh.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

Partagez cet article