Entretien avec Javel Habibi

Ce n’est pas tous les jours que vous croiserez une drag queen française faisant du stand up, ni une queen qui a fait la Fémis ! L’adorable Javel Habibi ne fait rien comme les autres et c’est ce qui la distingue. Une queen qui vous fera rire en vous racontant la dernière fois où elle a chopé la gale ne pouvait qu’attirer l’attention du Polyester, encore plus quand cette queen est cinéphile et réalisatrice comme Javel. Allez la voir partout où elle passe ! En attendant, Javel Habibi est notre nouvelle invitée à l’occasion de ce Mois des Fiertés…

Le cinéma est-il une source d’inspiration de ton drag ? Des icônes t-ont-elles servi de référence ?

Bien sûr ! Quand j’ai commencé j’aimais me raconter que Javel était un mashup d’Ariana Grande et Marilyn Monroe. Je dis « me raconter » parce que c’était juste dans ma tête, je pense qu’il y a que moi qui le savais (rires). Ce que j’emprunte à Marilyn c’est sa candeur, cette sorte de joie permanente d’être là, et presque un peu « en retard » sur ce qui l’entoure, trop occupée qu’elle est à s’émerveiller.

Après, il y a Catherine Deneuve, bien sûr. Son port de tête royal. Au final je ne cite que des belles blondes, alors que je suis une brune frisée arabo andalouse ! Mais je crois que ce sont surtout leurs énergies qui m’inspirent. En mode : active ta Catherine Deneuve intérieure.

C’est comme physiquement. Je suis maigre comme une Audrey Hepburn, mais dans ma tête, franchement, je suis plantureuse comme Marianne James. Et quand je marche dans un club au ralenti, je suis dans un film de David Lynch.



Si tu avais carte blanche, quel acteur ou quelle actrice de cinéma souhaiterais-tu relooker en drag queen?

Wouaouh ! Je pense d’office à Fanny Ardant, mais en réalité elle le fait déjà toute seule (rires). Je trouve ça très beau, d’ailleurs, comment certaines actrices font déjà du drag sans s’en apercevoir.

Je suis sûre que Johnny Depp ferait un truc fou. Son Willy Wonka dans Charlie et la chocolaterie, avec la wig de Mireille Mathieu, n’en était pas loin, d’ailleurs. Je la verrais rousse, plantureuse et un peu tarée. Mais je suis en train de décrire son chapelier fou, en fait !

Sinon Vincent Lindon, j’adorerais. Faire un truc sensible. Je suis sûre qu’il aborderait la transformation avec beaucoup de soin, ça pourrait être hyper joli. Voilà : en fait j’aimerais relooker Vincent Lindon en Fanny Ardant.



Y a-t-il un film dans lequel tu aurais rêvé de jouer en drag ?

J’aurais adoré jouer dans un Almodovar. Si tu prends Talons Aiguilles, il y a toute ces scènes magnifiques qui captent complètement le côté bord-schizo du drag. Victoria Abril est la fille d’une star de la chanson. Mais comme elle ne la voit jamais, elle se réconforte au cabaret devant les spectacles d’une queen, qui imite sa mère. Finalement, elle a une aventure avec elle, et des ennuis judiciaires avec un homme, sans savoir que c’est justement la queen en civil. Symboliquement, la queen est à la fois sa mère, son amant et son ennemi, c’est dingue.

Mais le personnage de Javel est née pour un film ! Je l’ai créée pour mon court métrage de sortie de la Fémis, dans lequel je jouais. Ça s’appelait Un homme mon fils ; l’histoire d’un garçon qui prend la route avec son père, qui découvre que son fils fait du drag. Je venais de rencontrer Cookie Kunty et Jerrie FK (lire notre entretien), qui m’ont tout fait découvrir du drag. Elles ont joué dans le film avec moi. Puis j’ai laissé Javel 2 ans au placard. Jusqu’à l’année dernière, où elle a fait sa première sortie dans le monde réel. J’étais prêt.


Un homme mon fils

Nous célébrons cette année les 50 ans de Stonewall. En quoi ton drag est-il politique à tes yeux ?

Quand j’ai commencé, j’ai réalisé que je vivais le drag comme une incroyable bouffée d’air. J’ai grandi en banlieue comme « la pédale du collège », parce que j’étais un garçon « féminin ». Et quand il s’est avéré que j’étais effectivement gay, j’ai fait une confusion entre la honte de ne pas coller aux codes du masculin et la honte d’être gay. On relie la virilité et la sexualité, alors qu’en fait ce sont deux questions qui n’ont rien à voir. L’un est une construction sociale, et l’autre un espace intime.

Javel me permet d’embrasser cette sensation d’être non-conforme, et d’encourager les autres à se célébrer aussi. C’est quand même un peu subversif, comme démarche, moi ça me réconcilie avec beaucoup de choses. Tu repars ensuite dans ton quotidien un peu plus fort.e. D’autant que c’est tourné du côté de la joie. Pour moi il y a quelque chose de politique aussi, à faire le choix de la joie. C’est un peu la phrase du groupe Contrefaçon : Dansez. Pensez.

Quel est ton film queer préféré ?

Définitivement Tout sur ma mère. Si tu veux, je te refais tous les dialogues en français. Même ce très étonnant accent marseillais qu’ils ont fait au personnage d’Agrado. Ça c’est le film de ma vie.

Et sinon, La Mort vous va si bien. Pour moi c’est queer : ces femmes mortes-vivantes qui se peignent le visage à l’acrylique pour rester belles, mais le truc croûte et pèle. Parfois quand je rentre de soirée en drag après avoir bien dansé, je suis pas loin du même résultat.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 19 juin 2019. Photo Drag Me Up : Anne-Sophie Dikanski. Le compte Instagram de Javel Habibi.

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