Entretien avec Alexandra Pianelli

Sorti en salles en octobre dernier, Le Kiosque de la Française Alexandra Pianelli propose une drôle d’expérience. Artiste plasticienne, Pianelli s’installe pour ce documentaire dans le kiosque habituellement tenu par sa mère. De cette petite lucarne sur le point de disparaître, elle filme un coin de rue, un quartier, la société et une partie de son histoire familiale. Ce beau film fait partie de la sélection Best of Doc à (re)découvrir cette semaine dans une large sélection de salles. Alexandra Pianelli est notre invitée.


Quel a été le point de départ du Kiosque ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?

Ce film est sûrement un pari grandeur nature (ou à plus grande échelle) de petits films que j’avais réalisés auparavant. J’aime depuis toujours puiser dans mon quotidien pour raconter des histoires et réaliser des portraits d’une époque. Faire un film sur mon lieu de travail ou filmer derrière une fenêtre sont des choses plutôt récurrentes dans ma pratique.

​Au kiosque, après avoir collectionné tout un tas de notes écrites, dessinées et enregistrées avec l’application dictaphone de mon téléphone pour apprendre mon nouveau métier, j’ai commencé à filmer des clients qui voulaient laisser un message à une personne de mon équipe absente. J’envoyais la vidéo en MMS au destinataire, amusée par ces images du réel. J’ai continué ce rituel et ainsi, commencé les portraits des clients. J’ai observé et filmé ce micro-monde depuis mon comptoir pendant six ans. Au fil des années, j’ai compris que ce métier était voué à disparaitre. J’ai alors eu envie d’en garder une trace, en essayant d’en réaliser un film, en huis clos, sans jamais sortir du kiosque.

Pouvez-vous nous parler des contraintes imposées par un lieu de tournage aussi exigu, et de la façon dont vous les avez utilisées voire détournées ?

En plaisantant, je serais tentée de dire qu’un kiosque à journaux a les conditions sommaires d’un arrêt de bus ouvert à tous les vents et le stock d’un bazar rempli du sol au plafond ! C’est un lieu de travail bruyant, poussiéreux où tout y est bancal, à commencer par les présentoirs. Tout l’inverse d’un Apple Store !

Filmer seule et à l’IPhone m’a donné beaucoup de liberté. Tout d’abord, je n’étais pas prise au sérieux par les personnes que je filmais — ce qui m’allait très bien ! Ce dispositif simple facilitait l’authenticité de nos échanges puisque les clients n’étaient pas intimidés ; il me permettait de filmer tout en travaillant et sans encombrer cet espace. En m’emparant de ce téléphone – outil qu’on a tous dans la poche – , je pouvais filmer des scènes de vie fugaces de manière plus instantanée. Ce n’est pas sans une certaine ironie avec le sujet du film : la presse papier détrônée par la presse numérique, plus rapide et moins chère. Cette pratique « amateur » a impliqué inévitablement des images pauvres… à l’image de mon lieu de travail.

Le son, quant à lui, n’était pas en reste ! Il a fallu que j’enregistre une voix off pour lier les mini capsules IPhone entre elles et que je bruite et double la plupart des sons des vidéos GoPro inaudibles. Pour ce film, j’ai donc dû troquer les effets vidéo par des trucages low-tech et « faits maison » afin de conserver cette esthétique bricolée. J’ai ainsi intégré mes dessins et réalisé a posteriori des maquettes en carton, plutôt que des animations perfectionnées, pour créer des respirations au huis clos. En post-production, j’ai reconstruit un mini studio à la maison, un faux kiosque (puisqu’il n’existait plus) pour les nouvelles prises de vue et les enregistrements audio.

En quoi, pour vous, cette petite boîte qu’est le kiosque et le micro-quotidien qui s’y rattache ont constitué un moyen pour parler de sujets à plus grande échelle comme la vie de tout un quartier ou l’histoire d’une famille ?

Travailler dans un kiosque a été une expérience particulièrement marquante et formatrice ! Tout d’abord, pour des raisons personnelles : suivre, de manière fortuite, les traces de ma famille en exerçant ce métier à mon tour, a été une formidable manière de comprendre son travail et les difficultés grandissantes de la presse papier. En dressant le portrait de ce métier, j’ai souhaité rendre hommage à ma famille qui l’avait exercé pendant presque cent ans !

J’ai donc passé six ans de mon temps entre le « dedans » et le « dehors », entre l’anecdotique et l’universel : ouverte sur le trottoir, cette petite maison familiale est devenue à mes yeux le meilleur poste d’observation du monde ! J’y ai rencontré des personnes de tous âges, de toutes classes et de tous bords politiques. Je ne vois pas meilleur endroit pour prendre la température d’une époque, comprendre des crises sociales et vivre l’actualité en direct avant qu’on en parle dans les journaux ! C’est le monde qui vient à vous. Vous n’avez qu’à tendre l’oreille ! Ainsi, en jouant tour à tour à la vendeuse ou à la sociologue, j’ai tenté de réaliser une chronique de ce monde qui s’offrait à moi devant ma fenêtre.

Quel.le.s sont vos cinéastes favori.te.s et/ou celles et ceux qui vous inspirent ?

Cette question simple m’est toujours difficile ! Je suis autant inspirée par le travail des plasticiens que par celui des cinéastes. De manière générale, je dirais que j’aime les films de « dispositif » ou à la frontière du documentaire et de la fiction. J’ai grandi avec une fascination pour les films du Dogme, ceux de Jean Rouch et ceux de David Lynch qui mélangent et brouillent les genres !

Si je devais lister mes « dinosaures », je citerais les films burlesques, critiques et moqueurs de Jacques Tati et Pierre Etaix, les faux décors Hollywoodiens des films d’Hitchcock ou à l’inverse les vrais décors hors studio quasi documentaires des films du  » Nouvel Hollywood » ; les « essais » de Godard et de Johan Van Der Keuken pour leur poésie et leur regard sur le monde ; ceux de Raymond Depardon et Harun Farocki qui nous montrent les coulisses, l’envers du décor…

Chez les plasticiens, je dirais les films à la caméra embarquée de Nelson Sullivan, les mises en scène du réel de John Smith ou les photographies de Rineke Dijkstra qui ne prend ses sujets en photo qu’après l’effort, pour capturer les maladresses et éviter les poses artificielles.

Et bien sûr, comment ne pas citer les films d’Alain Cavalier et ceux de mon amie Zoé Chantre — avec qui je travaille depuis bientôt vingt ans — qui m’inspirent et me nourrissent depuis toujours. Son dernier film Le Poireau Perpétuel sortira d’ailleurs prochainement et est bouleversant de beauté et de créativité ! Attention pépite !

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

J’ai eu deux grands coups de cœur ces dernières années : le magnifique Makala d’Emmanuel Gras que je résumerais en : un film, un travelling, une dimension mythologique ; et Braguino de Clément Cogitore où fiction (mysticisme) et documentaire mélangés m’ont époustouflée. Un choc cinématographique accompagné du plaisir de voir le film d’un copain d’école devenu « grand » ! Ce film semble être l’aboutissement de ses années de recherches : de Tarkovski, il est venu embrasser Lynch !

>>> Toutes les infos sur le programme Best of Doc

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 28 janvier 2021. Un grand merci à Audrey Grimaud. Crédit portrait : Zoé Chantre.

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