Entretien avec Ainhoa Rodríguez

Destello Bravío de l’Espagnole Ainhoa Rodríguez est l’une des révélations de cette année. Dévoilé au Festival de Rotterdam, ce long métrage très étrange raconte le quotidien d’un coin oublié en Espagne qui semble sur le point de disparaître. Le résultat est un drôle de crépuscule de poche, à la singularité entêtante. Destello bravío est disponible en exclusivité sur Mubi. Ainhoa Rodríguez est notre invitée.


Quel fut le point de départ de Destello bravío ?

Cela vient de mon besoin de travailler avec des actrices naturelles et des acteurs naturels. J’avais déjà dirigé des non-acteurs dans d’autres œuvres, et la matière première qu’ils m’offrent est absolument fascinante, riche, vitale. Ce film est né de plusieurs laboratoires de réflexion (sur le cinéma, sur les femmes, les points de vue marginaux) où j’ai travaillé avec des femmes de la région de Badajoz (sud-ouest de l’Espagne), et ce avec le soutien d’une institution régionale.

Je suis allée vivre dans une petite ville rurale d’environ 600 habitants, à Tierra de Barros (Badajoz), pendant environ un an (tournage inclus), pour faire les repérages et bâtir le scénario parce que je voulais faire partie de cette ville. Il s’agit de la terre de mes grands-parents paternels et de mon père, c’était donc un retour à mes origines. C’est aussi ma terre, et en travaillant avec des non-acteurs, je prends une position claire et solide : celle de défendre un accent particulier du sud-ouest espagnol, des visages réels, des corps qui ne correspondent pas à la norme. Je m’intéresse à la culture catholique en décomposition face à l’arrivée du capitalisme. Défendre le local, l’authentique, le personnel, les traditions…c’est le meilleur moyen de faire barrage à l’hégémonie du cinéma commercial. Faire du cinéma est un acte politique.



Que ce soit dans ses éléments comiques absurdes ou dans son atmosphère surnaturelle, il y a toujours une étrange tension dans Destello bravío. Selon vous, cette étrangeté nait-elle davantage du processus d’écriture ou de la mise en scène pure ?

Elle est née du moment où j’ai mis les pieds dans cette ville et que j’y ai apposé mon regard agnostique. Elle vient également du travail de terrain que nous avons fait auparavant, mais aussi de la matière première que j’avais devant moi : la ville, le paysage et les acteurs naturels. L’écriture a suivi cette piste, bien sûr, de même que la mise en scène. Tout cela ramène dans la même direction.



Destello bravío se concentre principalement sur les personnages féminins. Peut-on dire que les éléments surnaturels du film traduisent un besoin d’imaginer des moyens d’échapper au patriarcat traditionnel ?

Le film est riche de personnages féminins qui ont besoin de libération et qui entreprennent toutes de petits actes de transgression face à ce qui symbolise le monde dans son ensemble. Sans être optimistes, ces petits rituels dessinent un chemin vers l’espoir. Bien qu’après chaque acte plein de bravoure, elles doivent revenir à la routine, aux poids du système, à l’espace de la femme qui est une prison dans une prison. Dès le début du film il y a une tension : le suspense dans le montage, le son menaçant, la forme fragmentée du récit, et le « surnaturel », qui indiquent que quelque chose est sur le point de se produire et que sous la terre se trouve une force puissante prête à exploser à tout moment. Cette force-là est celle des femmes.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Fellini, Buñuel, Zulueta, Melville, Denis, Martel, Lynch, Solondz, Akerman, Waters, Dreyer, Korine, Seidl, Ford, Ceylan … et tous les autres…



Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Face à l’œuvre du peintre colombien Santiago Cubides (à qui l’on doit l’affiche de Destello bravío).

>>> Découvrez Destello bravío sur Mubi



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 mai 2021.

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