A voir en ligne | Critique : Zama

Fin du XVIIIème siècle, dans une colonie d’Amérique latine, le juge don Diego de Zama espère une lettre du vice roi du Río de la Plata signifant sa mutation pour Buenos Aires. Souffrant de l’éloignement et du manque de reconnaissance, il perd patience et, pour se libérer de son attente, se lance à la poursuite d’un mystérieux bandit.

Zama
Argentine, 2017
De Lucrecia Martel

Durée : 1h54

Sortie : 11/07/2018

Note : 

CONTRE TOUTE ATTENTE

Cela fait presque 10 ans (!) que l’Argentine Lucrecia Martel (lire notre entretien) n’avait plus tourné de long métrage. On peut se demander ce qui empêche de nombreuses réalisatrices à financer leurs films, qu’il s’agisse de profils aussi différents que Lucile Hadzihalilovic (11 ans entre Innocence et Evolution) ou Debra Granik (8 ans entre Winter’s Bone et Leave No Trace, présenté cette semaine à Sundance), mais ce Zama est enfin là et la surprise est à la hauteur de l’attente. Car il y avait sur le papier l’annonce d’un radical changement de registre pour la cinéaste qui nous avait habitués jusqu’à ce jour à d’étranges miniatures contemporaines et qui ici se lance dans une fresque historique. Mais les questionnements intimes soulevés hier par la cinéaste sont plus amples qu’il n’y paraît ; de la même manière la fresque attendue ici a quelque chose de minimaliste, en tout cas d’antispectaculaire, et marquée par la même étrangeté que les précédents films de la cinéaste.

La premier plan de Zama est renversant de beauté. La réalisatrice collabore avec le génial Rui Poças, dont on a déjà pu voir le talent sur des films tels que Tabou, L’Ornithologue ou Les Bonnes manières. Ce premier plan met en scène un officier espagnol, fièrement posté au bord de l’eau – on l’imagine en conquête, comme « ces poissons qui font des va-et-vient dans l’eau« . Va-et-vient, on ne saurait mieux dire, car cet antihéros semble finalement condamné à tourner en rond, à attendre et lentement s’enfoncer, comme un beau navire avalé lentement par la mer, comme un malheureux disparaissant peu à peu dans des sables mouvants. L’officier attend une mutation qui ne vient pas. Martel détourne à la fois les attentes du récit héroïque et viril de conquête mais aussi celles des antihéros flamboyants gagnés par la fièvre de la jungle. On parle ici d’un « dieu né vieux et qui ne peut pas mourir : sa solitude est atroce« . A vrai dire, le héros ici n’a pas vraiment l’air d’un dieu, il a quelque chose de falot dans cette situation d’absurde attente, comme un damné d’une pièce de Beckett.

Il y a chez Martel une atmosphère profondément curieuse qui donne le sentiment de ne jamais avoir vu ce Zama ailleurs. Les détails improbables, le décalage de ton, la violence hors champ, les ellipses, le climat de torpeur, l’étonnant travail sur les bruitages et la musique, tout participe à une perte de repères qui nous fait partager l’état d’hébétude du protagoniste. Dans un bordel comme lors de rencontres officielles menées sous le haut patronage de lamas. Il y a de l’humour dans ce pathétique échec, il y a surtout une dimension poétique et mystérieuse dans cette terra incognita dont les habitants se retrouvent envahis.

Si comme on l’a dit la violence n’est jamais montrée, il y a dans Zama quelque chose de brutal et qui boite : il y a ceux qui ne voient pas, ceux qui ne parlent pas, ceux dont l’oreille a été croquée, ceux qui ne peuvent plus toucher ; la mise en scène est très sensorielle alors pourtant qu’il semble toujours manquer d’un sens pour saisir pleinement le réel. On marche, on attend ou on dérive dans cette aventure surréaliste qui parvient à questionner le colonialisme et le rapport de classes de la plus étonnante des façons.


>>> Zama est visible en vod sur la page de Shellac

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par Nicolas Bardot

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