Critique : Winter Brothers

Emil travaille avec son frère dans une carrière de calcaire et vend aux mineurs l’alcool frelaté qu’il fabrique. Les relations changent lorsque la mixture préparée par Emil est accusée d’avoir empoisonné l’un d’entre eux.

Winter Brothers
Danemark, 2017
De Hlynur Palmason

Durée : 1h34

Sortie : 21/02/2018

Note : 

UN CŒUR EN HIVER

Juste avant l’apparition du titre Winter Brothers, on peut apercevoir un plan énigmatique dans lequel deux personnages sont posés sur une sculpture de bois. Ce plan est directement inspiré d’une photographie intitulée Mountain de l’artiste islandais Sigurður Guðmundsson ; il s’agit d’une « sculpture vivante » qui établit un dialogue entre la nature et la culture. Ce plan-hommage dans Winter Brothers est court mais pas anodin, car il y a quelque chose de sculptural dans la façon qu’a l’Islandais Hlynur Palmason (lire notre entretien) de tailler le décor (sa forme, ses reliefs, ses creux), et d’en extirper quelques figures humaines dont les deux héros du film : les deux frères du titre.

Si la photographie de Sigurður Guðmundsson est au croisement de la culture et de la nature, Winter Brothers se place, et ce de manière passionnante, à l’intersection entre le narratif et l’abstraction. C’est le récit archétypal de deux frères certes (l’un, lunaire, semble d’ailleurs travailler sur la lune ; l’autre, plus beau et athlétique, est, lors d’une scène de nu, filmé comme une statue), mais il y a sans cesse une étrange tension qui suggère autre chose, une piste plus mystérieuse – Winter Brothers n’est jamais réductible à un sujet et c’est une qualité remarquable pour un premier long métrage. Dès les premiers instants, nous sommes plongés dans les ténèbres et le tumulte d’une mine, enveloppés par la noirceur de laquelle s’échappe les lumières des lampes-torches, enveloppés aussi par le bruit des wagonnets et des pioches, avant qu’une lumière rouge dramatique n’envahisse le cadre. Il y a immédiatement une force plastique qui se dégage de ce film : c’est aussi ce qu’on attend – ce qu’on espère – d’une première œuvre, à savoir un regard de cinéaste, une proposition esthétique forte.

Hlynur Palmason sait avec grand talent faire naître l’étrangeté par la forme, qu’il s’agisse du travail sur le cadre, les couleurs, la texture, et les ruptures. On est capté par ce no man’s land quasi-entièrement blanc, il ne reste que le bleu passé des tenues de travail recouvertes de poussière calcaire. On observe les braises rouges d’un four comme à travers un étrange judas. Le travail formel de la directrice de la photographie danoise Maria von Hausswolff, tout comme le travail sonore et la musique de son compatriote Toke Brorson Odin, où les bruits composent une mélodie immersive, sont impressionnants. « Les gens normaux te regardent », lance un frère à l’autre, qui semble au bord de la rupture dans cet enfer blanc sans âge où l’on visionne encore des VHS. Si le film se termine (et ce n’est pas un spoiler) sur un tour de magie, ce n’est pas un hasard : au récit didactique (sur la fraternité, sur la différence, sur la violence sociale), Hlynur Palmason préfère l’expérience mystique qui n’exclue pas l’expérimentation d’un monde et, in fine, une expérimentation humaine.

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par Nicolas Bardot

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