Critique : Contes du hasard et autres fantaisies

Un triangle amoureux inattendu, l’échec d’un stratagème de séduction et une rencontre née d’un malentendu – tels sont les épisodes que traversent les trois héroïnes, qui cherchent toutes à tracer leur propre voie, entre décisions et regrets.

Contes du hasard et autres fantaisies
Japon, 2021
De Ryūsuke Hamaguchi

Durée : 2h01

Sortie : 06/04/2022

Note :

QUE LE TEMPS VIENNE OU LES CŒURS S’ÉPRENNENT

Dans le précédent long métrage de Ryusuke Hamaguchi, Asako I&II, le cinéaste racontait l’histoire d’une jeune femme qui rencontre le double parfait de son premier amour, et s’en retrouve bouleversée. Dans Contes du hasard et autres fantaisies, Hamaguchi se penche à nouveau sur ce qui est magique, insaisissable, sur ce qu’on ne contrôle pas : le hasard, les malentendus, ou même un virus informatique. Le long métrage débute pourtant de manière parfaitement quotidienne et non-événementielle avec deux amies en pleine discussion nocturne sur les sièges à dentelle d’un taxi. Le hasard va se mêler de leur conversation – et de leur vie. Ce premier segment de Contes du hasard  fait des clins d’œil à Hong Sangsoo : sur ce qu’on voit et ce qui se passe réellement, sur l’ordinaire et la tension surréelle, sur ce que peut révéler un zoom. Qui dit Hong Sangsoo dit Rohmer : lorsque Hamaguchi examine ce qui se joue par la parole, on n’est jamais très loin du maître français.

« On s’est caressé mutuellement en conversation ». Ce qu’on se dit dans Contes du hasard et autres fantaisies a une importance si cruciale que la parole devient aussi concrète qu’un rapport physique. Mais la parole peut aussi être un leurre, un jeu, une manipulation, comme le suggère le second chapitre. Les personnages de Contes du hasard parlent et ouvrent leur cœur ? Ils laissent la porte grande ouverte ? Ils peuvent s’aimer et pourtant se blesser en même temps. Comme dans Senses, comme dans tous ses films, Hamaguchi observe l’ambigüité et les dynamiques des rapports humains avec une finesse unique. On peut ici développer un grande intimité avec une inconnue tandis que la communication avec un intime sera impossible. Ce n’est pas le seul paradoxe exploré par ce film ultra-sensible.

Les personnages de Contes du hasard passent leur temps à se dire qu’ils n’ont pas changé, et ce essentiellement dans le troisième segment. Par ellipses, on disparaît, on réapparaît, on resurgit comme un vieux souvenir. Pourtant, une protagoniste s’avère capable de confondre une ancienne camarade avec une autre. « Je connais l’étiquette » dit la jeune héroïne du premier chapitre lorsqu’elle sent qu’elle doit s’éclipser. Qu’est-ce que cette étiquette cache des sentiments humains ? Lorsque les personnages d’Hamaguchi sont soudain filmés comme s’ils s’adressaient à la caméra, est-ce qu’ils ne se demandent pas quelle est leur place ?

« Accepteriez-vous de croire à quelque chose de moins définitif que la magie ? ». Le hasard chez Hamaguchi peut être romanesque. Comment prendre soin de l’autre ? Cette question qui était déjà centrale dans Senses et Asako, se pose à nouveau ici. « Je me sens comme un produit défectueux », confie l’une des héroïnes. C’est cette humanité que Hamaguchi saisit, en grattant délicatement son vernis, en laissant de la place à la respiration magique de l’imprévu. L’exercice bavard de Contes du hasard et autres fantaisies a quelque chose de cérébral, mais c’est pourtant, à l’image de son magnifique troisième chapitre, un film à l’humanité profondément émouvante.

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par Nicolas Bardot

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