Critique : Sous le ciel de Koutaïssi

C’est le coup de foudre quand Lisa et Giorgi se rencontrent par hasard dans les rues de Koutaïssi. L’amour les frappe si soudainement, qu’ils en oublient même de se demander leur prénom. Avant de poursuivre leur chemin, ils décident de se retrouver le lendemain. Ils sont loin de se douter que le mauvais œil leur a jeté un sort.

Sous le ciel de Koutaïssi
Géorgie, 2021
De Alexandre Koberidze

Durée : 2h30

Sortie : 23/02/2022

Note :

IVRESSE PRINTANIÈRE

Que voit-on quand on regarde vers le ciel, interroge le titre fort poétique du nouveau film du Géorgien Alexandre Koberidze (Let the Summer Never Come Again). Que voit-on en effet au générique de début, quand celui-ci s’imprime sur un fond bleu : vrai ciel éclatant ou simple bloc de couleur numérique ? Qu’est-ce qui s’offre réellement à notre regard enchanté dans la ville paisible qu’on découvre à l’écran, ou la vie quotidienne trottine tranquillement mais où les objets inanimés peuvent soudain se mettre a raconter des légendes à qui veut les entendre ? Sous le ciel de Koutaïssi débute en plaçant ses pas dans ceux des archétypes de la comédie romantique : un garçon et une fille se rentrent dedans, faisant tomber leurs livres par terre. Mais que voit-on réellement quand ce passage obligé est complètement pris de court par un cadrage inattendu, centré sur… les chevilles des protagonistes ?

Si l’on voit la même chose sous un angle si inattendu, autant dire qu’on voit en fait carrément autre chose, et pour qui désire voir quelque chose de neuf, cette fable géorgienne est effectivement un cadeau sans pareil. En cachette, dans les recoins d’une ville engourdie par une charmante torpeur printanière, va se déployer une démesure ultra romanesque. « Il ne reste plus personne aujourd’hui pour se rappeler de cette histoire » nous prévient le narrateur, comme s’il nous confiait un secret du fond des âges. Sa voix-off a beau être omnisciente, Sous le ciel de Koutaïssi est gorgé d’un chatoyant mystère.

Cette histoire d’amour maudite et enchantée à la fois nous est racontée sous la forme d’un réalisme magique lui-même venu d’un autre temps du cinéma, celui où des films muets ouvraient dans les ruelles secrètes les portes d’une autre dimension. Le clavecin, l’orgue de barbarie et la harpe qui accompagnent les scènes en apportent le charmant écho. Mais Koberidze n’est pas un imitateur fétichiste. Chaque plan du film est surprenant ; obéissant à un impressionnant découpage, les très courtes scènes s’enchainent comme un étonnant carrousel. Sous le ciel de Koutaïssi n’est pas réductible à cela mais c’est aussi un film sur le cinéma. Ce n’est pas un hasard si le dénouement (magique) est laissé entre les mains de deux personnages secondaires, deux cinéastes interprétés par les propres parents du cinéaste.

Sous le ciel de Koutaïssi donne sans cesse l’impression d’inventer son propre style (combien de films peuvent se vanter d’une telle qualité?) mais aussi d’avoir sa manière bien à lui de respirer. Koberidze s’offre l’audace de mettre momentanément son récit en arrière-plan pour nous faire prendre l’air ailleurs, d’arrêter littéralement le temps pour nous raconter l’histoire de la ville. Sur un terrain de foot, dans une chaumière, ces imprévisibles zigzags documentaires ou rêveurs (parfois les deux en même temps) charment et déboussolent avec une ivresse rare. Ancré à sa manière dans un monde bien réel, Sous le ciel de Koutaïssi est une ambitieuse fable sans naïveté, qui sait également parler de la brutalité du monde et de l’absence de réponse face à celle-ci.

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par Gregory Coutaut

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