Critique : Walk Up

Byungsoo, un réalisateur célèbre, accompagne sa fille chez une amie de longue date, propriétaire d’un immeuble à Gangnam. La visite des lieux entraîne pour Byungsoo un voyage hors du temps où se dessinent, à chaque étage, ses amours passés et à venir.  

Walk Up
Corée du Sud, 2022
De Hong Sangsoo

Durée : 1h37

Sortie : 21/02/2024

Note :

CHANSONS DU DEUXIÈME ÉTAGE

Où mènent les chemins empruntés ou observés par les personnages de Hong Sangsoo ? Dans son précédent film, La Romancière (en salles en 2023), les protagonistes examinent un sentier au loin et se demandent si celui-ci mène quelque part. A plus petite échelle, où mènent les escaliers de l’immeuble dans lequel les personnages de Walk Up se trouvent ? Les digicodes sont inconnus, le sous-sol est un atelier qui ne sert qu’à se reposer, les personnages peuvent disparaître comme s’ils montaient au ciel ou descendaient dans une mystérieuse cachette. Ce lieu très concret pourrait presque être la porte vers une quatrième dimension.

Tout est net chez Hong Sangsoo (ici le noir et blanc, les lieux bien compartimentés en étages, l’action limitée et familière) et tout est flou, comme après quelques coups en trop de soju. Un homme, cinéaste, vient avec sa fille chez une décoratrice d’intérieur. Sa fille aimerait apprendre auprès d’elle, cette dernière admire le père – elle aime par-dessus tout « les gens qui ont du succès ». Le père est un cinéaste établi qui remporte des prix en festivals, cela pourrait être un double évident de Hong ; c’est ici un homme qui parle d’investisseurs, de projets préparés un an à l’avance… Comme le commentait une protagoniste de La Romancière : « quoiqu’il en ressorte, ça n’est pas un documentaire ». Mais cela n’empêche pas le commentaire personnel.

Walk Up est personnel car il se déroule dans un décor qu’on connaît bien et qu’on visite de film en film chez le cinéaste. « On a vraiment besoin de boire » commente-t-on autour d’une table, on trinque et on trinque encore, on compte un peu embarrassés le nombre de bouteilles bues. Une jeune femme félicite le cinéaste pour ses films terriblement drôles. Les films de Hong Sangsoo peuvent parfaitement être drôles – drôles jusqu’à ce que le rire soit voilé par autre chose. Dans Walk Up, le small talk alterne avec les silences gênés, puis les langues se délient (forcément autour d’un verre) jusqu’à trop en dire. On rit, mais le rire peut surtout être l’expression d’un malaise. Walk Up est à nouveau un film drôle, notamment grâce à la géniale Lee Hyeyoung et son énergie passive-agressive. Mais là encore le rire se voile et le long métrage va ailleurs.

Quand montre-t-on son vrai visage ? Sobre ou lorsqu’on a bu ? Sur scène ou dans l’intimité ? Pour la fille, le père et le cinéaste sont deux personnes bien différentes. Mais l’homme qu’elle connaît comme son père est-il vraiment plus authentique que la personnalité publique ? « On change dès qu’on sort de chez soi ». Lors d’une scène vertigineuse, le père (charismatique Kwon Hae-hyo, l’un des visages familiers du cinéma de Hong Sangsoo) se pelotonne dans son lit et, dans un mouvement de dissociation, s’entend parler. Les temporalités se chevauchent-elles ? Le héros, cinéaste et narrateur, imagine-t-il les conversations dans la pièce d’à côté ? Toujours est-il que Hong saisit avec trouble et finesse la solitude de ses personnages, l’impasse dans laquelle ils peuvent se trouver, tandis que résonne la mélodie froide et absurde des digicodes.

Une boisson tendue (non-alcoolisée !) guérit tout, assure-t-on. Dieu conseille au héros de continuer à faire des films. Là encore tout est net et tout est flou : les désillusions sont profondes et amères, mais les illusions sont des ombres qui continuent de s’agiter et animent encore les héros fatigués. Hong met en scène cette drôle de tristesse avec la grâce qu’on lui connaît.

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par Nicolas Bardot

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