Critique : Vitalina Varela

Vitalina Varela, une Cap-Verdienne de 55 ans, arrive à Lisbonne trois jours après les obsèques de son mari. Elle a attendu son billet d’avion pendant plus de 25 ans.

Vitalina Varela
Portugal, 2019
De Pedro Costa

Durée : 2h04

Sortie : 12/01/2022

Note :

SACRÉE DÉFENSE

Il fait tout le temps nuit sur les personnages de Vitalina Varela. Au sens figuré, mais surtout au sens propre. Dans le nouveau film de Pedro Costa, la nuit est en effet plus noire qu’ailleurs. C’est une obscurité d’une épaisseur presque jamais vue dans d’autres films, tellement noire qu’on pourrait la croire éternelle, impossible à fuir. A l’image de Halte de Lav Diaz, c’est d’ailleurs comme si les personnages de Vitalina Varela avaient cessé de parier sur un éventuel retour du soleil. Cette nuit-là est intransigeante comme une malédiction.

Pedro Costa filme une nouvelle fois la communauté capverdienne des alentours de Lisbonne (à savoir des hommes et des femmes déjà très en marge de la société) et les insondables abysses dont il les entoure accentuent encore cette impression d’être au bord du monde, de rester secret. Cette nuit gigantesque comme un océan transforme ce quartier de banlieue en no man’s land post-apocalyptique, en limbes labyrinthiques où les hommes errent, hébétés, comme s’il avaient perdu depuis longtemps le chemin de leur maison. Une nuit fantastique, une nuit mythique.

Du mythe, Vitalina Varela possède assurément les dimensions colossales. Quand l’héroïne éponyme apparait pour la première fois,descendant d’un avion en pleine nuit, elle n’est qu’une silhouette se détachant dans un carré de lumière telle une apparition, elle est à la fois minuscule et gigantesque. En silence, un faisceau de lumière dévoile un pied nu et ensanglanté qui se pose sur le bitume d’un tarmac .Cette scène d’arrivée – comme toutes les autres du film – Costa la transforme en un monument pictural, il lui donne une grâce qui laisse sans voix.

Vitalina arrive après un voyage qu’elle a mis quarante ans à pouvoir se payer, afin de retrouver son mari parti depuis longtemps, et c’est alors comme si Orphée descendait aux enfers pour retrouver Eurydice. Dans la bouche des personnages, le Cap-Vert semble aussi lointain qu’une terre de légende, aussi séparé de ces ruelles sales que le monde des vivants peut l’être de celui des morts. Autour de la fière Vitalina, les hommes sont déjà perdus, et ne tiennent littéralement plus debout.

Costa sculpte la lumière comme nul autre, la transformant en matière presque inédite, capable de donner une profondeur incroyable à certains plans, digne d’un effet 3D. Le moindre carré de lumière s’échappant d’une des rares fenêtres (plutôt des fissures dans le mur) devient un cadre pour les visages et les silhouettes, qui se retrouvent alors dotés d’un poids magique, particulièrement sensoriel. Costa sculpte aussi le temps : associée au rôle de la lumière, cette lenteur remarquable donne au moindre plan des airs sacrés. Parmi ces hommes et ces femmes qui se croient abandonnés par Dieu, un seul geste, une absence de geste, un silence peuvent devenir un rituel venu du fond des âges, une légende. Le résultat est d’une beauté proprement stupéfiante.

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par Gregory Coutaut

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