Critique : Désordres

Une vallée dans le nord-ouest de la Suisse, en 1872. Il s’agit de l’histoire de Joséphine, qui se fait embaucher dans une fabrique horlogère. On la forme à la production de l’axe du balancier (Unruh), une pièce minuscule entraînant le balancement au centre d’une montre mécanique. Avant de recevoir son salaire et afin de financer sa nouvelle vie dans ce village, elle emprunte de l’argent à la banque du coin. Bientôt en désaccord avec l’organisation du travail et la répartition des biens au sein du village et de l’usine, elle rejoint le mouvement local des travailleurs anarchistes des horlogers, la Fédération Jurassienne…

Désordres
Suisse, 2022
De Cyril Schäublin

Durée : 1h33

Sortie : 12/04/2023

Note :

FORCE COMMUNE

On aurait davantage tendance à relier le monde de l’horlogerie suisse au capitalisme et au monde du luxe qu’à l’histoire de l’anarchie. Désordres raconte pourtant la naissance d’une organisation politique autogérée au sein d’une manufacture de montres dans un petit village des Alpes à la fin du 19e siècle. En réalité, ce n’est pas rendre justice au film de Cyril Schaüblin (lire notre entretien) que de commencer par raconter de quoi il parle, tant le résultat est entièrement différent de ce que l’on peut s’imaginer à la lecture du résumé. Débarrassé de toute imagerie soviétique à l’héroïsme kitsch, Désordres est en réalité tellement lunaire qu’il ne ressemble jamais à un film historique.

Dès les premières scènes s’installe une superbe lumière voilée, pleine de reflets dorés. Les couleurs y sont paradoxalement chaleureuses et délavées. La nature est omniprésente dans le cadre, souvent en toile de fond et au premier plan en même temps. On pourrait alors croire que Schaüblin a pour sage intention de reconstituer des tableaux classiques avec application, mais le cinéaste impose d’emblée des cadrages légèrement décalés et inattendus. Ses personnages sont comme des figurines placées çà et là dans cette verte campagne, dispersés dans un cadre (historique) qui les dépasse ou au contraire, ne peut plus les contenir.

Ce ne serait pas non plus rendre justice à Désordres de le réduire à un exercice esthétique dont les protagonistes ne seraient que des pions/prétextes. Les choix d’écriture et de mise en scène viennent en effet traduire directement la montée d’un sentiment politique commun. Les acteurs ont toujours beaucoup d’espace vide aux dessus de leur tête à l’image ? C’est parce qu’il n’y a personne au dessus des Hommes qui puisse décider à leur place. Il n’y a pas de personnage principal dans ce film choral ? Il n’y en a pas non plus dans cette organisation sociale rêvée.

Comment traduire efficacement le surréalisme qui rend Désordres si unique ? C’est une comédie rêveuse et absurde située dans un village digne des Schtroumpfs, découpé par des décrets absurdes en quatre fuseaux horaires. Les ouvrières s’y échangent des portraits de Louise Michel à la sortie de l’usine telles des images Panini, et les bourgeoises discutent de la Commune, Marx et Engels sous une ombrelle. Mais sous la lisse surface des politesses, Schaüblin montre que toutes les petites mains du village s’agitent en cadence. A force de gros plans sur des mécanismes horlogers, il bâtit alors le plus curieux des comptes à rebours. Si les personnages de Désordres semblent parfois construire une bombe ou une machine à voyager dans le futur, Schaüblin a donné naissance à un film au charme inclassable.

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par Gregory Coutaut

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