Critique : Un beau matin

Sandra, jeune mère qui élève seule sa fille, rend souvent visite à son père malade, Georg. Alors qu’elle s’engage avec sa famille dans un parcours du combattant pour le faire soigner, Sandra fait la rencontre de Clément, un ami perdu de vue depuis longtemps…

Un beau matin
France, 2022
De Mia Hansen-Løve

Durée : 1h52

Sortie : 05/10/2022

Note :

QUE LE TEMPS VIENNE OÙ LES CŒURS S’ÉPRENNENT

Il y a quelques années, Mia Hansen-Løve filmait Isabelle Huppert dans le rôle d’une prof de philo quittée par son mari et qui allait devoir réinventer sa vie. Cela s’appelait L’Avenir (prix de la mise en scène à la Berlinale 2016) et l’héroïne du nouveau film de la cinéaste, Sandra, a également de quoi se questionner sur le sien. Sandra élève seule sa fille, est au chevet de son père malade, est, en tant que traductrice-interprète, au service des mots des autres. Un peu comme si cette jeune femme avait déjà dû faire une croix sur elle-même, ses désirs et son avenir.

« Je voulais explorer la façon dont peuvent dialoguer deux sentiments opposés, un deuil et une renaissance, le fait de les éprouver simultanément », commente la réalisatrice. Un beau matin raconte effectivement la fin de vie d’un homme, le père de Sandra, atteint d’une maladie dégénérative. Mais le film dépeint aussi le début d’un amour, un amour de jeunesse pour citer un autre long métrage de Mia Hansen-Løve : Sandra retrouve Clément, qu’elle a perdu de vue depuis longtemps. Le film fait, avec une grande finesse, cohabiter des questionnements sur le passé et le futur dans un présent sensible, vibrant et profondément humain.

Cela permet également à Un beau matin de manier les contrastes, ce que l’excellente scénariste qu’est Mia Hansen-Løve accomplit avec beaucoup de nuances. C’est un film avec de l’humour, mais aussi avec d’inévitables touches de cruauté. C’est une œuvre qui parle de choses dures et violentes, tandis que le 35mm apporte malgré tout une douceur à ce qu’elle filme. « C’est parfois difficile de vivre », entend-on dans le long métrage, mais plus que de pathos il est avant tout question ici de prendre soin des autres et de faire le lien. Cette empathie sans aucune mièvrerie, cet espace laissé naturellement au romanesque dans le quotidien – Mia Hansen-Løve, comme pour ses précédents films, excelle dans cet exercice.

Les présences conjuguées de Pascal Greggory et de Melvil Poupaud (coiffé comme dans Conte d’été) semblent être des clins d’œil évidents à l’univers de Rohmer – ce qui ne serait pas une première dans la filmographie de la cinéaste. On n’imaginait pas nécessairement Léa Seydoux en rohmérienne, elle brille pourtant dans ce rôle loin de ses emplois habituels. Un beau matin n’est pas rohmérien parce qu’il filme des tergiversations bourgeoises (on ne croise d’ailleurs pas tant de bourgeois que ça chez Rohmer), mais plutôt par sa façon de raconter un décalage émouvant entre ce que les personnages disent et ce qu’ils font, ce décalage entre ce qu’ils sont et croient savoir d’eux-mêmes.

Sandra se sent inapte, totalement dépassée par la situation, submergée par ses émotions. Mais elle est là pour son père, sa mère, sa fille, tandis qu’un amour inattendu lui tombe dessus. C’est aussi ce qu’il y a de rohmérien dans Un beau matin : ces personnages qui se révèlent capables de choses dont ils se sentaient incapables, qui de manière émouvante savent être au monde ; ce sont des héroïnes (comme Sandra aujourd’hui, comme Marie Rivière hier) qui pensent ne pas avoir de mode d’emploi pour vivre mais qui finalement savent tout à fait s’y prendre. Parfaitement ou imparfaitement, peu importe : Mia Hansen-Løve filme ce tumulte avec une simplicité aussi élégante que bouleversante.

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par Nicolas Bardot

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