A voir en ligne | Critique : The Trouble With Being Born

Elli est une androïde qui vit avec un homme qu’elle traite comme son père. Ils passent l’été ensemble. Le jour, ils nagent dans la piscine et la nuit, il l’emmène au lit. Elle partage ses souvenirs : tout ce pour quoi il l’a programmée et dont il a envie de se rappeler. Des souvenirs qui signifient tout pour lui, mais rien pour elle. Une nuit, Elli perçoit un écho dans les bois…

The Trouble With Being Born
Autriche, 2020
De Sandra Wollner

Durée : 1h34

Sortie : disponible sur Mubi

Note :

NÉ QUELQUE PART

Les premiers plans de The Trouble With Being Born évoquent une naissance. La lumière et la couleur n’apparaissent que progressivement, comme si le regard s’ouvrait pour la première fois sur un monde alors inconnu. Ce monde-là, c’est pourtant le nôtre. L’action commence même dans le plus paisible et plaisant des bois, d’où rien ne dépasse. Pourtant, l’air de rien, il y a déjà comme un filtre étrange sur le quotidien confortable de la jeune Elli que l’on observe en cachette comme un secret.

Elli pleure et paresse comme un enfant. Pourtant Elli est un androïde ultra réaliste. Quand elle est à l’écran, difficile de savoir si l’on observe, selon les plans, une jeune actrice ou bien des effets spéciaux particulièrement bluffants. Un poignant vertige venant accentuer l’inquiétude qui plane sur cet Eden domestique. Dans cette maison aux gadgets designs élégants et silencieux, la vie semble idéale. Mais qu’est-ce que la vie ? Rien de rien, si l’on en croit les paroles superficielles du tube des années 80 « Life is Life », étendu ironiquement au détour d’une scène. Et qu’est-ce qu’être né si ce n’est un inconvénient, comme nous le rappelle le titre du film, en hommage à Cioran ?

Elli appelle Papa l’homme qui vit à ses côtés mais la nature de leur relation est bien plus ambiguë que cela. Les poses lascives au bord de la piscine et la mélodie de Lemon Incest font flotter un certain malaise en plein soleil, tandis que la mise en scène nous emmène vers d’autre spectres. On pense bien sûr au superbe Sayonara de Koji Fukada (où l’un des rôles était déjà joué par un androïde) mais aussi aux apparitions fantasmagoriques des films de Kiyoshi Kurosawa. Née (achetée ? créée ?) dans un paradis fantasmé par un autre, et où elle n’est qu’un objet, Elli est face à une solitude immense. Et comme chez ces fantômes japonais, cette solitude est en même temps étrange et profondément bouleversante.

L’écriture brillante de la réalisatrice Sandra Wollner (lire notre entretien) n’explique jamais trop le comment, ni le qui. Elle n’explique pas non plus le quand. Cela n’est jamais surligné, mais The Trouble With Being Born se passe en effet dans futur. Or, quel avenir pour qui né, et qui ne l’est pas ? C’est l’un des tours de force du film : pousser loin cette interrogation à l’angoisse métaphysique, jusqu’à oser les plus beaux basculements et ellipses. Derrières des apparences froides, The Trouble With Being Born est déchirant. Sa réussite et son ambition n’ont d’égal que les tailles gigantesques des solitudes de ses personnages.


>> The Trouble With Being Born est disponible sur Mubi

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par Gregory Coutaut

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