Festival Chéries-Chéris | Critique : The Ground Beneath My Feet

Alors qu’elle n’a pas encore 30 ans, Lola contrôle sa vie personnelle et sa vie professionnelle avec la même impitoyable efficacité. Personne n’est au courant du fait que sa sœur Conny est mentalement instable. Quand un événement tragique force Conny à revenir dans la vie de Lola et que ses secrets commencent à être dévoilés, Lola se retrouve en difficulté.

The Ground Beneath My Feet
Autriche, 2019
De Marie Kreutzer

Durée : 1h48

Sortie : –

Note : 

CAUCHEMARDER SOUS LE CAPITALISME

« Elle n’est pas faite pour cette vie » : cette réplique entendue dans The Ground Beneath My Feet, quatrième long métrage de l’Autrichienne Marie Kreutzer, se destine à la sœur de l’héroïne. Une sœur brisée, schizophrène, médicamentée, enfermée à l’hôpital – elle n’est effectivement pas armée pour cette vie. Lola, sa petite sœur, a tout ce qu’il faut pour affronter la moindre embûche qui se présente à elle. Elle applique une stricte discipline à chaque seconde, autour d’un table de réunion de travail comme à la gym ou tout simplement lorsqu’elle attache sa queue de cheval.

« Elle n’est pas faite pour cette vie » : il n’y a évidemment pas un grand mystère autour du fait que la réplique se destine également à Lola – car personne n’est fait pour cette vie-là. Lola est conseillère en entreprise, donne des chiffres et des avis sur des trucs , peu importe lesquels. Elle est dans une roue de hamster qui ne peut pas s’arrêter. Kreutzer manie avec habileté ce style propre aux cinémas autrichiens et allemands – une austérité et un dépouillement où le réalisme rencontre le trouble fantastique. Parmi ses inspirations pour The Ground Beneath My Feet, la réalisatrice cite Pas de printemps pour Marnie d’Alfred Hitchcock. Pas étonnant donc qu’elle emprunte la voie du genre pour explorer la psyché et les fêlures de son héroïne.

Lors d’une scène dans un ascenseur récalcitrant, on se sent d’un coup projeté dans un pur film d’horreur. Un téléphone sonne mystérieusement, la porte s’ouvre sur un étage absurde et hanté, un chien errant a simplement le temps de se faufiler dans le noir. C’est le type de rupture de style qui fait vaciller The Ground Beneath My Feet, et qui s’insère dans une écriture rigoureuse. Ce n’est pas un spoiler, le film ne prendra finalement pas le chemin du cinéma de genre. Mais Kreutzer, observant la frontière invisible et la porosité entre la folie et la raison, fait de même avec les formes cinématographiques.

Ce vocabulaire riche se ressent d’autant plus que la cinéaste, formellement, nous donne l’illusion de tout voir (des bureaux vitrés et des murs blancs, de nombreux gros plans sur des visages qui ne peuvent pas mentir) pour mieux nous questionner sur ce que l’on voit. Sur ce que les personnages disent, et sur ce qu’ils croient. Dans ce monde de l’entreprise, dit-on, le burn out est l’équivalent de la lèpre. Kreutzer fait, en creux, un portrait sociétal d’une véracité anxiogène. Tandis que devant la caméra, l’héroïne invincible se consume jusqu’à la rupture.

L’Oursomètre : la prestation de Valerie Pachner saute aux yeux et devrait forcément être dans les discussions pour le prix d’interprétation. L’écriture de Marie Kreutzer pourrait également être récompensée.

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par Nicolas Bardot

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