Festival Visions du Réel | Critique : The Bubble

Imaginez une ville tentaculaire de 155 000 retraité.e.s, équipée de 54 terrains de golf, 70 piscines, et de son propre organe de presse. Les milliers d’habitant.e.s de The Villages, en Floride, vivent isolé.e.s du monde dans une bulle de loisirs où il n’est plus question d’âge. Mais tout cela à un coût, que paient la flore, la faune, et la population locale.

The Bubble
Autriche, 2021
De Valerie Blankenbyl

Durée : 1h32

Sortie : –

Note :

LES ROIS DU MONDE

The Bubble (la bulle, ndlr) pourrait effectivement être le surnom de The Villages, l’un des plus fameux villages de retraités de Floride. Dans cette ville artificielle sortie de terre il y a quelques décennies à peine (et qui est désormais encore plus grand que Manhattan), tout est fait pour le confort des résidents, avec un zèle qui ne regarde pas à la dépense. Rien de dépasse ni ne choque dans ces allées et ruelles où l’on ne croise aucun déchet, aucun signe rappelant la réalité extérieure, et surtout aucun jeune. Cette bulle est un lieu de résidence, mais aussi une sorte parc d’attractions qui promet à ses habitants dépaysement et divertissement, favorisant leur retour en enfance, ou du moins vers des années d’insouciance, sans travail ni responsabilité familiales, quitte à les couper du monde.

Tout exclusif qu’il soit, ce parc immobilier est pourtant construit sur un terrain public. L’étanchéité de leur isolement n’est qu’une illusion entretenue avec enthousiasme et à coup de barrières factices. C’est par un des ces interstices que semble se faufiler la réalisatrice autrichienne Valerie Blankenbyl. Cette dernière pourrait se contenter de filmer le dépaysement pittoresque de cette utopie toc (on pense d’ailleurs au charmant Some Kind of Heaven, programmé à l’édition 2020 de Visions du réel), mais elle a un autre projet en tête, un portrait aux dimensions plus ambitieuses que celles des Villages. En interrogeant ceux qui vivent dans mais aussi hors de cette bulle, elle déploie un vertigineux hors-champ de questions. Un hors-champ géographique (qu’arrive t-il à ceux qui refusent de vendre leurs terrains ?) et temporel (quelles vies ont mené les résidents avant d’atterrir là ? Qu’y avait-il ici ici avant ? Quel avenir pour un lieu dédié à oublier le passé et le présent à la fois ?).

La Bulle qu’elle évoque dans le titre de son film, c’est aussi les États-Unis dans leur ensemble. Ce fantasme d’être coupé du monde, comme par un hypothétique dôme invisible, rappelle sans ironie le mur né de la folie de Trump. Dans cette communauté censée recréer une société idéale, on ne rencontre aucune personne racisée, et quasiment aucune minorité. Les résidents sont biberonnés par des radios locales censées être indépendantes mais qui sont en fait des antennes de la chaine ultra conservatrice Fox News. Bercés de propagande, ces Américains ont démissionné du monde réel, mais hélas pas de leur devoir de citoyen, comme le montre une très enthousiaste parade de voiturettes pour la réélection de Trump, ou les larmes absurdes qui viennent à l’œil d’une dame à la lecture d’un autographe de Melania. Coupés du monde peut-être, mais pas au point d’arrêter de l’influencer à leur bon vouloir.

La Bulle c’est aussi celle du capitalisme. Celle qui n’en finit pas d’exploser aux États-Unis comme ailleurs, loin des opulentes parties de golf des derniers enfants gâtés du système. Interrompue à plusieurs reprises dans ses repérages par des avertissements à peine déguisés en politesses, Valerie Blankenbyl finit par renvoyer (sans avoir même besoin de forcer le trait) en miroir la méchanceté intrinsèque de cette bulle façonnée et gardée par des cerbères invisibles, à l’image d’un secte ou d’un régime autoritaire. Dans ce club select, les sourires mielleux des gentils petits vieux sont en fait des avertissements carnassiers lancés par les derniers boomers survivants d’un carnage capitaliste, nous mettant au défi de venir remettre en question leur bon droit égoïste à un tel saccage de ressources. Face à ces faux-sourires, on est ravi de voir un film qui montre aussi les dents.

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par Gregory Coutaut

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