Critique : Je tremble ô Matador

Chili, années 80, en pleine dictature de Pinochet. Par amour pour un révolutionnaire idéaliste qu’il vient de rencontrer, un vieux travesti marginal accepte de cacher des documents secrets chez lui. Ils s’engagent tous deux dans une opération clandestine à haut risque.

Je tremble ô Matador
Chili, 2020
De Rodrigo Sepúlveda

Durée : 1h33

Sortie : 15/06/2022

Note :

MA RÉVOLUTION PORTE TON NOM

La soirée drag festive et bon enfant placée en ouverture de Je tremble ô Matador n’est pas seulement interrompue par des coups de feu, elle laisse carrément place à un massacre opéré par l’armée. Si la violence demeure finalement hors-champ dans le reste du film, celui-ci n’édulcore pas la dictature de Pinochet. Derrière les chansons romantiques qu’on écoute en s’enivrant, elle demeure une ombre gigantesque, une chape d’inquiétude qui pousse les personnages à rester dans l’ombre et à ne se parler qu’en chuchotant. Quand ceux-ci parviennent à la fuir le temps d’un après-midi à la campagne, l’image devient alors plus artificielle, travaillée comme une photo d’autrefois, renforçant l’idée d’une illusion vaine.

Dans cette marginalité, un travesti d’un certain âge s’est habitué à vivre. Jusqu’à prétendre, pour ses rares interlocuteurs, ne plus avoir de nom ou de date d’anniversaire. Quand il accepte d’aider clandestinement un charmant révolutionnaire qu’il vient à peine de rencontrer, on ignore encore si c’est par adhésion aux idées politiques ou par attirance physique. Rodrigo Sepúlveda (lire notre entretien) a le bon goût de pianoter sur cette ambiguïté sans surjouer l’opposition homo/hétéro, et surtout sans enfermer sadiquement son personnage dans une impasse amoureuse. A l’âge où il doit prendre des bains de pieds entre deux clients, ce personnage pourrait être pathétique de s’enticher d’un jeune hétéro, mais grâce a une écriture qui sait prend soin de ses protagonistes, il est simplement poignant.

Mais ce qui le rend si attachant, c’est surtout la performance remarquable de son interprète : Alfredo Castro, visage très familier du cinéma d’auteur latino-américain, admiré aussi bien dans les films de son compatriote Pablo Larraín que chez Ruizpalacios ou Naishtat, ainsi que dans plusieurs films queer (Les Amants de Caracas, El principe). Les émouvantes nuances qu’il apporte à son personnage débordent sur tout le film, qui brille de toute façon moins par la radicalité de ses idées de cinéma que par sa très émouvante dose de chaleur humaine. C’est lui qui donne à Je tremble ô Matador son meilleur relief : sa vibrante dignité.

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par Gregory Coutaut

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