Critique : Take Me Somewhere Nice

Alma voyage depuis les Pays-Bas jusqu’à la Bosnie pour rendre visite à son père qu’elle n’a jamais rencontré. Accompagnée de son cousin et d’un ami, elle s’embarque dans un road-trip imprévisible au cœur du pays.

Take Me Somewhere Nice
Pays-Bas, 2019
De Ena Sendijarević

Durée : 1h31

Sortie : 14/07/2021

Note :

TAKE ME TO YOUR HEAVEN

Alma fait la gueule. C’est bientôt les vacances, et elle s’ennuie. Qu’on l’amène dans un joli coin, comme le demande le titre du film. Alma fait la gueule et pourtant tout pétille à l’image. Le format carré, les couleurs pop, les touches d’humour absurde, et même le joli chat qui bronze dès les premières plans font de son quotidien une sorte de bande dessinée prête à accueillir toutes sortes d’aventures. Le film de Ena Sendijarević (lire notre entretien) pourrait se contenter de voguer sur cette dichotomie de clown triste et de gags pince sans rire, et pourtant il y a rapidement quelque chose qui cloche. Est-ce dans la manière dont les visages des acteurs sont souvent en bord de cadre, comme si les personnages étaient eux-mêmes en marge de leur propre vie, au bord d’un précipice quelconque?

En guise de « joli coin », Alma découvre son pays d’origine, la Bosnie-Herzégovine, et elle fait toujours la gueule (elle ne sourit pas une seule fois de toute la première heure du film). Mais si elle ressemble à ces ados bougons, Alma est aussi une jeune femme fière et indépendante, qui trace son propre chemin en liberté à travers l’Europe, par-delà les frontières, les cultures et les nationalités. A chaque fois qu’elle débarque quelque part (centre commercial futuriste, boite de nuit moisie ou paysages majestueux), elle s’arrête le temps d’un instant de sidération ahurie, avant de bien vite repartir bille en tête. A chaque occurrence, cet effet commence par être très drôle pour devenir mélancolique. Comme si elle ne pouvait pas s’arrêter de marcher avant d’avoir trouvé sa place, son endroit à elle.

Mais quelle est cette place quand on est soi-même à cheval sur les identités? Quand on erre comme dans un rêve au milieu d’un pays encore traumatisé par la guerre, où tout a l’air de se faire de façon clandestine? Sa place, Alma la trouve dans cet entre-deux, au côté de personnes qui sont elles aussi en marge. Changer le monde en se lançant dans la politique ? L’idée ne suscite ici ni enthousiasme ni haussement de sourcil, pas plus que gagner sa vie grâce à la prostitution, par exemple. Entre soleil écrasant de western et errances nocturnes lunaires, Take Me Somewhere Nice change peu à peu de peau et de ton, se transforme en road movie contrarié. Le rythme se fait plus placide, peut-être un peu trop, mais le voyage d’Alma également se fait plus désabusé, prend de la noirceur et de la profondeur, comme si le film devenait adulte en même temps qu’elle.

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par Gregory Coutaut

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