Critique : Suspiria

Susie Bannion, jeune danseuse américaine, débarque à Berlin dans l’espoir d’intégrer la célèbre compagnie de danse Helena Markos. Madame Blanc, sa chorégraphe, impressionnée par son talent, promeut Susie danseuse étoile. Tandis que les répétitions du ballet final s’intensifient, les deux femmes deviennent de plus en plus proches. C’est alors que Susie commence à faire de terrifiantes découvertes sur la compagnie et celles qui la dirigent…

Suspiria
Italie, 2018
De Luca Guadagnino

Durée : 2h32

Sortie : 14/11/2018

Note : 

PINA DÉBAUCHE

Sur le papier, réaliser un remake de Suspiria relève de l’hérésie cinéphile. La fantasmagorie hallucinée en laquelle consistait le film de Dario Argento, sorti en 1977 et considéré désormais comme un classique, semblait se suffire à elle-même. L’idée que quelqu’un puisse oser le « refaire » étant aussi absurde, pour ne pas dire présomptueuse, qu’envisager de retoucher la Joconde pour rendre Mona Lisa plus accessible aux jeunes générations. Force est de constater qu’une fois matérialisée sur grand écran, la relecture du chef d’œuvre par Luca Guadagnino, dissipe assez rapidement les a priori. Car le cinéaste transalpin ne cherche pas à « faire mieux » mais à « faire autrement » sans jamais trahir un quelconque irrespect envers le matériau d’origine. 

Cette nouvelle vision transpose l’intrigue de Fribourg (Suisse) dans une ville de Berlin encore coupée en deux par le Mur à l’époque où la bande à Baader fait les gros titres de l’actualité. Les tons rouge et rosé dans lequel baignait l’original virent au kaki et au marron. On est dès lors clairement moins chez Argento que chez Fassbinder. Et si le scénario conserve certaines scènes-clé – comme l’arrivée dans l’école de danse – et effectue des références à la mythologie dite « des Trois mères » (Suspiriorum, Tenebrarum et Lucrimarum), il réinvente le personnage de Susie Bannion.

Chez Dario Argento, on la connaissait uniquement comme une Américaine au regard sans cesse interloqué cherchant une issue au cauchemar éveillé qu’elle est en train de vivre. Luca Guadagnino étaye sa biographie, révèle un bout de son passé, et lui offre un nouveau destin. Dans le film original, Susie passait surtout son temps à subir les événements et sortait de sa passivité un peu par accident. Dans le remake, si elle se trouve d’abord dans un état de sidération, c’est avant tout parce qu’elle s’apprête à se révéler à elle-même. Le Suspiria 2018 pouvant être lu comme un récit d’apprentissage et d’émancipation déviant. 

La lecture de ce remake par le prisme féministe est également possible. La majorité des protagonistes sont des femmes. Une bonne partie d’entre elles s’avèrent être des sorcières, une figure éminemment liée au féminisme. Petit rappel dans les grandes lignes : la misogynie fut l’élément déclencheur des chasses aux sorcières. Étaient vues comme telles les femmes s’écartant du modèle patriarcal et des attentes induites en termes, par exemple, de procréation (lire à ce sujet Sorcières – La puissance invaincue des femmes de Mona Chollet, paru aux éditions La Découverte). La « sororité » de Suspiria a de quoi effrayer les machos et masculinistes de tous poils et s’amuse même, au détour d’une scène, de son pouvoir castrateur.

Les personnages masculins sont portion congrue et lorsqu’ils ne passent pas inaperçus, ils sont tournés en dérision. Un seul s’en tire mieux que les autres : le docteur Klemperer (qui ne figurait pas dans le film original) incarné par… une difficilement reconnaissable Tilda Swinton. Il n’est assurément pas anodin que le seul rôle d’homme relativement positif soit incarné par une femme. 

Clairement, le Suspiria de 2018 nous raconte bien davantage de choses que celui de 1977. Il dure d’ailleurs 2h32, soit une heure de plus que l’original – et encore, la rumeur raconte que le premier montage atteignait les quatre heures. Luca Guadagnino, via le scénario de David Kajganich, se répand donc sur l’histoire de Susie Bannon et, dans son épilogue, ne peut s’empêcher de céder au sentimentalisme qu’il affectionne, ce qui ajoute une nouvelle épaisseur à l’ensemble. Une sensibilité – d’autres parleraient de sensiblerie –  qui ne surprendra guère celles et ceux qui ont réagi avec émotion à son adaptation de Call Me By Your Name.

En revanche, là où Luca Guadagnino stupéfait, c’est dans son traitement du versant horrifique. L’Italien met son sens du style et son maniérisme au service d’une étonnante séquence – osons le mot : anthologique – versant sans rechigner dans la body horror la plus décomplexée, chaque seconde élevant d’un cran la stupeur éprouvée lors de la précédente. Rien que pour cette scène, le remake mérite que l’on y accorde un intérêt. Dans la production horrifique contemporaine, il s’impose comme hors-norme, presque anticommercial. Impossible de définir précisemment à quel public-cible il s’adresse. La preuve, si besoin en était, que les raisons d’être de ce remake sont tout sauf mercantiles.

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par Fabien Randanne

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