A voir en ligne | Critique : Space Dogs

Laika, une chienne errante, fut le premier être vivant envoyé dans l’espace, et donc à une mort certaine. Une légende raconte que son fantôme est revenu sur terre et erre encore dans les rues de Moscou…

Space Dogs
Autriche, 2019
De Elsa Kremser & Levin Peter

Durée : 1h31

Sortie : –

Note :

LES CHIENS ERRANTS

Au moment de faire le bilan des ovnis les plus incroyables vus sur un écran cette année, Space Dogs de l’Autrichienne Elsa Kremser et l’Allemand Levin Peter (lire notre entretien) devrait être un solide prétendant à la Palme. L’histoire du film est aussi folle que poétique : Laïka, le premier être vivant envoyé dans l’espace, serait selon la légende devenu un chien fantôme après sa mort solitaire parmi les étoiles, et errerait dans les rues de Moscou. C’est le prétexte choisi par Kremser et Peter pour suivre les chiens errants de la capitale russe, dans ce film sans protagonistes humains. Un peu comme ces films animaliers du Mardi c’est permis – mais en beaucoup plus violent.

Que voyait Laïka dans l’espace ? Que ressentait-elle dans son cœur et son âme de chien ? La question, pour les cinéastes, se pose de la même manière pour les chiens abandonnés qu’ils suivent de jour comme de nuit. Régulièrement interviennent des images d’archive assez hallucinantes où l’on peut voir le sort terrible réservé à des chiens sur lesquels sont effectués des tests scientifiques. Peuvent-il aller dans l’espace ? Peuvent-ils survivre contrairement à Laïka ? Le point commun de toutes ces images, dans les rues comme les laboratoires, est au mieux une forme de violente indifférence humaine, au pire de torture active. Kremser et Peter observent comment des récits ultra-brutaux, parfois des désastres avec des fusées qui explosent, peuvent être transformés avec un cynisme cosmique en success story – un voyage inédit du sordide au cheesy.

Sans jamais que le film ne mette explicitement de mots dessus, Space Dogs porte en lui une évidente force allégorique. Ces chiens abandonnés à leur sort, ces chiens devenus sauvages et qui croquent plus faibles qu’eux, ignorés par la société, ont quelque chose de tout à fait humains. Ils dorment dans les rues, traversent des aires industrielles et commerciales loin des beaux quartiers tandis qu’en fond sonore est diffusée une pop russe dégueulasse… Le film décrit aussi la brutalité d’un cauchemar sociétal et n’est pas qu’une affaire de chiens. La façon dont un singe ici est employé pour un job grotesque et contemple la tristesse de la nuit moscovite en dit autant sur ce pauvre chimpanzé que sur les humains qui l’entourent.

C’est grotesque et c’est parfaitement sérieux. C’est un documentaire et c’est un conte de fées. C’est un film basé sur des recherches rigoureuses et des images d’archive sérieuses, mais traité de façon lyrique. Elsa Kremser et Levin Peter manient avec grand talent ces contrastes qui donnent toute sa richesse au long métrage. Qui crée un malaise, une étrange émotion, un vertige comme quand on pense à ces tortues perdues à jamais dans le cosmos. Voilà une expérience assez inouïe et probablement inoubliable.


>> Space Dogs est visible librement jusqu’au 30 novembre 2022 sur le replay d’Arte

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par Nicolas Bardot

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