Cannes 2019 | Critique : Sibyl

Sibyl est une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot, une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir. Tandis qu’elle lui expose son dilemme passionnel, Sibyl, fascinée, l’enregistre secrètement. La parole de sa patiente nourrit son roman et la replonge dans le tourbillon de son passé.

Sibyl
France, 2019
De Justine Triet

Durée : 1h40

Sortie : 24/05/2019

Note :

LES MOTS, LES MOTS, LES MOTS

Justine Triet revient, 3 ans après le joyeux bordel mélancolique de son dernier film Victoria. Même titre en forme de prénom, même héroïne qui tangue fièrement face à l’adversité, et même irrésistible actrice principale. Et pourtant Sibyl ne ressemble qu’à moitié à Victoria. Plus chatoyant à l’œil, mais aussi davantage amer et tordu, peut-être moins immédiatement aimable (ce qui n’est pas nécessairement un défaut). Comme si les variations de registres déjà à l’œuvre dans Victoria se faisaient cette fois plus secouantes. A quelle drôle d’ivresse carbure ces nouvelles aventures tragicomiques du duo Triet/Efira?

« Si tu fais quoi que ce soit, il va se passer quelque chose de très violent » prévient-on l’héroïne. Agir est un risque gigantesque. Et parler, alors? Le domaine de Sibyl, ce sont les mots : ceux qu’elle fait naitre en tant qu’autrice, et ceux qu’elle attrape et dissèque en tant que psychanalyste. Il y a beaucoup de personnages dans Sibyl, peut-être un peu trop même (pour l’héroïne comme pour le spectateur). Et comme les relations entre les personnages passent moins par des gestes que par le verbe (que révéler ou non? Qu’écouter et retenir?), cela donne un film sur des personnes en train de parler d’autres personnes qui parlent elles-mêmes d’autres personnes. Le vertige guette vite, mais il demeure jovial, du moins dans un premier temps.

« Écrire est une ivresse, mais une ivresse sans danger » répond Sibyl. Pourtant comme dans le brillant premier film de Triet, La Bataille de Solférino, l’étourdissement n’est pas qu’un charme, c’est aussi le début de la frénésie. Sibyl rêve de tout expliquer et tout comprendre, mais vouloir contrôler tout autour de soi est une forme de névrose et de violence. On peut en rire, c’est par moments ce que fait la réalisatrice, et on peut aussi en déprimer complètement, un terrain sur lequel le film va également beaucoup. Virginie Efira est décidément l’interprète idéale pour cette curieuse frontière entre entre la cruauté et l’exaltation. En un sourire, un merci, un haussement de sourcil, elle fait changer le ton d’un dialogue, souvent plusieurs fois à l’intérieur d’une même scène.

Suspens psychologique, comédie de tournage, transferts, fantasmes et mise en abime… A l’image de son héroïne éponyme, Sibyl part un peu dans tous les sens. Mais s’il est parfois difficile de dire clairement de quoi parle le film, il pose des questions plus profondes et angoissantes qu’il n’y parait. Pourquoi aider les autres? A-t-on besoin des autres? A vouloir tant nous dire, Sibyl oublie parfois de respirer, mais par son charisme, Virgine Efira transcende les imperfections du scénario. Elle est de toutes les scènes, traverse toutes les émotions, à tel point qu’on a parfois l’impression de voir non plus une fiction mais un captivant documentaire sur une actrice au travail. Et quel travail. A la fois figure de proue et capitaine de ce navire, c’est elle qui le fait arriver à bon port malgré les remous.

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E

par Gregory Coutaut

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