Critique : Showing Up

A quelques semaines du vernissage de son exposition, le quotidien d’une artiste et son rapport aux autres. Le chaos de sa vie va devenir sa source d’inspiration…

Showing Up
États-Unis, 2022
De Kelly Reichardt

Durée : 1h48

Sortie : 03/05/2023

Note :

GRÂCE KELLY

Qu’il s’agisse d’une forêt où se retrouver (Old Joy), d’un barrage à saboter (Night Moves) ou du Far West à conquérir (La dernière piste, First Cow), les films de Kelly Reichardt auscultent avec un regard aiguisé mais doux le rapport que ses personnages entretiennent avec leur environnement. Comment ils s’y intègrent, comment ils interagissent, comment ils le recréent parfois à leur image. Lizzie, protagoniste de Showing Up (Michelle Williams, royale dans une performance passant par toutes les nuances de la bougonnerie) ne vit pourtant pas en pleine nature. Elle réside dans une banlieue résidentielle – certes boisée – de Portland.

Loin de l’agitation du centre-ville, ce quartier paisible composé d’ateliers ressemble à une communauté alternative où chaque résident vaquerait à ses hobbys artistiques ou sociaux, une sorte de campus même. Au cœur de cette galerie de personnage se trouve en effet une école, sans qu’on ne saisisse jamais clairement qui y étudie ou qui y donne des cours. Boudeurs ou enthousiastes comme de grands ados, les personnages de Showing Up n’ont plus l’âge de faire des études mais ne semblent pas pour autant correspondre à l’image qu’on se fait d’adultes maitrisant leur quotidien. Il y a beaucoup de joie à voir Reichardt donner vie par vignettes à ce petit monde, et faire souffler discrètement un vent de liberté. A y regarder de plus près, personne n’a ici l’air d’avoir ce qu’on appelle brutalement un « vrai » métier, et personne n’a vraiment d’autorité sur qui que ce soit. Un univers où l’on travaille moins qu’on ne crée.

Créer, Lizzie aimerait justement avoir enfin le loisir de s’y mettre pour de bon. La date tant attendue du vernissage de son exposition approche à grand pas et ses sculptures ne vont pas se faire toute seule. Or Lizzie, pour qui la moindre interaction avec autrui semble être un calvaire quotidien, se retrouve à devoir jongler avec une panne de chaudière, une famille un peu larguée, un chat gourmand, un pigeon et pire que tout : une voisine parfaite qui a non pas un mais deux vernissages en vue. Cela pourrait être le pitch d’une comédie new-yorkaise névrosée (et de fait Reichardt n’a pas peur du gag), mais en la déplaçant dans les latitudes alternatives de l’Oregon, la cinéaste transforme sa galerie de personnages en une sorte d’expérience utopique douce-amère.

Comme souvent chez la réalisatrice, le cœur du film n’est pas exactement là où on l’attend. Il y a une attention particulière à porter aux deux génériques de Showing Up. Celui du début montre les croquis préparatoires de Lizzie, où les couleurs vives débordent du cadre des silhouettes crayonnées, annonçant le plaisir qu’il y a à s’autoriser à suivre ses propres règles avant celles des autres (de l’histoire de l’art, de la société, de la famille). Le générique de fin observe quant à lui un processus de tressage, les noms des fidèles collaborateurs de Reichardt (son scénariste Jonathan Raymond, Williams qu’elle dirige déjà pour la 4e fois), mettant en avant avec chaleur la notion d’une création artistique collective.

Collectif : le mot s’utilise autant dans le domaine artistique pour désigner un groupe de créateurs que dans le domaine de la politique ou du militantisme. C’est donc un mot qui colle comme un gant à ce film puissant. Les films de Reichardt peuvent donner la fausse impression d’être des miniatures. Ils vivent au contraire dans un champ immense, un scope ouvert dans la direction opposée de ce que l’on croit devoir attendre d’ un film : des événements, des actions, des sentiments visibles ou pire encore, des leçons. Showing Up semble par moment ne rien raconter de spécial, mais il montre que tous ces anti-événements bâtissent jour après jour nos vies, nos personnalité, nos communautés, nos liens. C’est moins un microscope tourné sur des détails qu’une fenêtre laissée béante vers l’extérieur, une invitation bienveillante à réinventer le rapport avec notre environnement humain. Le résultat possède une grâce subtile qui n’appartient décidément qu’à Kelly Reichardt.

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par Gregory Coutaut

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