Critique : Sayonara

Dans un avenir proche, le Japon est victime d’attaques terroristes sur ses centrales nucléaires. Irradié, le pays est peu à peu évacué vers les états voisins. Tania, atteinte d’une longue maladie et originaire d’Afrique du Sud, attend son ordre d’évacuation dans une petite maison perdue dans les montagnes. Elle est veillée par Leona, son androïde de première génération que lui a offert son père. Toutes deux deviennent les dernières témoins d’un Japon qui s’éteint à petit feu et se vide par ordre de priorité, parfois selon des critères discriminatoires. Mais doucement, l’effroi cède la place à la poésie et la beauté…

Sayonara
Japon, 2015
De Koji Fukada

Durée : 1h52

Sortie : 11/08/2021 (reprise)

Note :

LE TEMPS DES ADIEUX

Si nous avions apprécié les précédents longs métrages de Koji Fukada (l’inédit Hospitalité et le beau Au revoir l’été, sorti chez nous en 2014), rien ne nous avait préparés à l’immense réussite de Sayonara. Les premières images de Sayonara sont infernales : des flammes au loin qui s’élèvent dans la pénombre tandis qu’autour grondent les hélicoptères. Le nouveau film de Fukada (lire notre entretien) se déroule dans le Japon post-Fukushima, après le désastre nucléaire. Et très rapidement, les couleurs automnales (croquées par la directrice de la photo Akiko Ashizawa, comparse habituelle de Kiyoshi Kurosawa) apportent une ambivalence. Lorsqu’on suit l’héroïne qui semble vivre loin de la ville, on ne sait plus trop si le décor est idyllique ou crépusculaire. Dans ce monde où les fleurs ne poussent plus, l’héroïne vit avec un robot extrêmement perfectionné et réaliste. Cette androïde va être le témoin du crépuscule de l’humanité.

Car le postulat ambitieux de Sayonara ne se questionne pas seulement sur l’après-Fukushima : c’est l’après-humanité que l’on envisage ici. Certes, Sayonara pose des questions immédiates, de politique et de survie. Les habitants du coin sont persuadés qu’on laissera les pauvres crever, d’autres, en un renversement ironique, s’inquiètent du sort réservé à de futurs Japonais réfugiés à l’étranger. Émigrer en Afrique devient un sort enviable, mais il reste ce sentiment qu’il n’y a plus beaucoup à vivre. Sayonara ressemble à une réponse, quinze ans plus tard, à Kaïro de Kurosawa, avec des humains bientôt disparus à la place des jeunes gens contaminés et morts-vivants. Effacés, comme les traces de fantômes dans le film d’horreur réalisé en 2001.

Que reste t-il à vivre sur ce bateau ivre ? Francophile, Koji Fukada fait réciter le poème de Rimbaud à ses personnages. Comme on l’a dit, Sayonara songe à ce qu’il pourrait y avoir après l’humanité. Le robot du film, qui a un pouvoir de fascination absolument troublant, est un premier indice des choses que nous laisserons. Si l’androïde ne semble, initialement, pas le sujet du film (elle est présente, elle est dans l’ombre, elle assiste l’héroïne mais ce n’est pas d’elle dont on parle), elle émerge peu à peu. Lors d’un basculement formel particulièrement gonflé, où l’image devient anamorphosée, plus de doute possible: c’est sa vision du monde que nous partageons. C’est à la chute de l’humanité que nous assistons, à travers les yeux d’une créature qui, bien qu’exceptionnellement complexe, n’est pas humaine.

Mais est-ce vraiment le cas ? Il y a en cette femme-robot une hésitation fantastique et humaine qui tient autant du film de fantômes (avec ses spectres hiératiques aux visages impassibles) que des masques du théâtre japonais. Qu’y a t-il derrière le masque de ce robot ? L’intimité que Fukada crée par son tempo hypnotique, par son atmosphère délicate, parvient à nous faire croire que ce robot est doué d’empathie. La ville est vide et le ciel chargé. La nuit tombe et permet un plan long, absolument incroyable, peut-être le plus fort qu’on a vu cette année au cinéma. Un ultime décrochage narratif donne le vertige, avec un dénouement sublime, à la fois d’une grande candeur et d’une grande poésie. Il y a dans ce chef d’œuvre une façon bouleversante d’envisager sans cesse la mort et ne parlant finalement que de vie, de dire adieu à un monde tout en sachant que celui-ci ne s’arrêtera pas.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article