A voir en ligne | Critique : Le Sang du pélican

Wiebke dresse les chevaux de la police montée, afin qu’ils deviennent insensibles au danger. Après l’arrivée, dans son ranch isolé, de sa seconde fille adoptive, Raya, les drames s’accumulent. La petite de cinq ans, selon toute vraisemblance lourdement traumatisée, frappe sa sœur, hurle à s’en déchirer les poumons et met le feu à tout ce qui se trouve sur son chemin. Pourtant, Wiebke refuse d’abandonner, comme le lui conseillent désespérément les pédiatres, l’enfant sociopathe à qui elle a ouvert son cœur et son foyer…

Le Sang du pélican
Allemagne, 2019
De Katrin Gebbe

Durée : 2h01

Sortie : Du 27/06 au 03/07 sur Arte replay

Note :

L’AFFAIRE PÉLICAN

C’est inexplicable : voilà la réponse qu’apportait Aux mains des hommes, premier long métrage de l’Allemande Katrin Gebbe, au torrent de violence qui s’est déchainé sur son personnage principal. C’est inexplicable : voilà une piste de cinéma passionnante qu’emprunte à nouveau la talentueuse jeune réalisatrice avec son nouveau film, Le Sang du pélican. Il est certainement plus confortable de faire des films qui expliquent et rassurent, mais Gebbe, quitte à se mettre à dos une partie du public et de la critique, n’a pas peur.

Elle ne craint pas, par exemple, de mettre en scène des personnages cruels qui peuvent rester incompris. Elle n’a pas peur de filmer des personnages anti-attachants qui n’attirent pas nécessairement la sympathie. Voilà qui fait une différence nette avec un autre film signé cette année d’une jeune réalisatrice allemande : System Crasher (Benni pour sa sortie française). Primé à la Berlinale et candidat allemand pour les Oscars, le long métrage met lui aussi en scène une fillette à problèmes mais la cinéaste semble terrorisée à l’idée qu’on n’aime pas cette dernière.

Le cinéma de Gebbe, lui, a plus d’aspérité. Pourtant, Le Sang du pélican débute par un radieux petit matin rose, où les chevaux sont encore endormis. La photo croque ici ou là la nature comme un paysage de conte. Et si l’action d’abord décrite (une mère célibataire adopte une seconde fille qui s’installe à la maison) semble parfaitement réaliste, Gebbe laisse peu à peu la place à la dimension fantastique. Le titre du film fait référence au sang d’une mère pélican capable de redonner la vie, il est plus tard question de sacrifices qui repoussent les mauvais esprits tandis que des talismans sont retrouvés dissimulés. Il y a une tension horrifique dans Le Sang du pélican mais le long métrage n’est pourtant jamais tourné comme un film d’horreur. L’horreur s’invite par un dessin inquiétant ou la brume qui se répand, mais elle reste une dimension du drame psychologique.

C’est l’un des excitants paris du long métrage : ce glissement d’un genre à l’autre sans jamais être circonscrit aux règles. Il y a du drame réaliste, du western, du fantastique, mais Le Sang du pélican n’est jamais strictement l’un ou l’autre. C’est aussi là la nature de l’inexplicable : Gebbe questionne le lien invisible qui lie une mère à son enfant, questionne aussi la raison et les croyances. Comme dans Aux mains des hommes, la réalisatrice observe ce que ses protagonistes se retrouvent prêts à accepter dans des situations extrêmes jusqu’à l’absurde. Il faut croire aux situations grand-guignol pour que le film fonctionne, et Gebbe peut compter sur Nina Hoss, géniale comme toujours et qui est une sorte de super-pouvoir dans tous les films où elle apparaît.

Hoss incarne une mère hors des normes, et qui dans un autre pays, comme elle l’indique elle-même, n’aurait pas pu adopter. Elle éduque plus avec des chatouilles qu’avec des paires de claques, même en ayant en face d’elle une gaminette qui semble sortie de La Mauvaise graine de Mervyn LeRoy. Elle tient ce rôle de « mauvaise » mère à-la-Kidman avec un mélange magnétique de charisme et d’ambiguïté. Hoss est le pouls de ce film dont les hommes sont expulsés et c’est là encore une aspérité dans un récit où l’on s’attend que les femmes et jeunes filles en détresse soient secourues. Les variations dans Le Sang du pélican ne sont pas d’une fluidité parfaite, mais le film est gonflé, complexe, excitant. Et confirme le culot et le point de vue à part de sa réalisatrice.


>> Inédit en salles, Le Sang du pélican est disponible librement en replay sur Arte jusqu’au 3 juillet

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par Nicolas Bardot

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