Critique : Papicha

Alger, années 90. Nedjma, 18 ans, étudiante habitant la cité universitaire, rêve de devenir styliste. A la nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage de la Cité avec ses meilleures amies pour rejoindre la boîte de nuit où elle vend ses créations aux  » papichas « , jolies jeunes filles algéroises. La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide de se battre pour sa liberté en organisant un défilé de mode, bravant ainsi tous les interdits.

Papicha
Algérie, 2019
De Mounia Meddour

Durée : 1h45

Sortie : 09/10/2019

Note :

NOTRE TISSU PRÉFÉRÉ

Sous les posters de la chambre-dortoir de son école, Nedjma rêve de liberté. Elle fait le mur au sens propre et au figuré, s’incrustant dans des fêtes clandestines et s’imaginant une future carrière de styliste. Pourtant, contrairement à la plupart des filles et garçons de son âge, cette jeune fille têtue ne souhaite pas quitter son pays. Quitte à ouvrir son horizon, elle préfère donner de grands coups de ciseaux dans les tissus trop lourds qui l’habillent. De jour, le haïk est un poids, un tissu populaire et sans couleurs dont on voile toutes les filles. La nuit venue, c’est ce haïk que Nedjma veut percer jusqu’à la liberté. En le teignant de couleurs vives, en le découpant en formes sexy, elle le transforme en outil, puis en arme. Le symbole est puissant, et court le long du film. Pour les jeunes filles algériennes comme pour toutes les autres, le chemin de l’émancipation est à trouver soi-même, dans le noir et en cachette.

Venue du documentaire, la réalisatrice Mounia Meddour dit s’être librement inspirée de ses propres souvenirs. Le fait que l’action se déroule au début des années 90 n’est pas tout de suite évident, tant l’histoire pourrait se passer aujourd’hui, dans des contextes répressifs similaires. L’indice principal reste l’intervention ludique de tubes de l’époque (Ini Kamoze, Roch Voisine, Benny B). Le réel imprègne la démarche de la réalisatrice : les sorties nocturnes, les secrets d’ados, les premiers flirts et les plans dragues relous… quitte à rester un temps sur des rails très archétypaux, le quotidien de Nedjma et ses amis sonne en effet très juste.

Mais dès le début du film, il y a comme un caillou dans la chaussure de cette insouciance poétique. Quelques aspérités discrètes, comme une séquence sans dialogues, ou cette héroïne particulièrement butée. Par la suite, la violence de l’intégrisme religieux débarque dans le film par paliers. La réalisatrice ne la nie pas et – dans les passages les plus saisissants du long métrage – n’y va pas par quatre chemin au moment de l’inclure à l’image. Il y a d’ailleurs un cadrage bien particulier qui revient dans plusieurs séquences : alors que l’héroïne est filmée de face, une action particulièrement brutale se déroule à son insu au second plan, derrière son épaule. On capte alors cette jeune fille au moment où l’horreur de la réalité lui échappe puis la rattrape. Papicha est à l’image de ces plans : à la fois insouciant et glaçant.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article