Critique : Never Rarely Sometimes Always

Deux adolescentes, Autumn et sa cousine Skylar, résident au sein d’une zone rurale de Pennsylvanie. Autumn doit faire face à une grossesse non-désirée. Ne bénéficiant d’aucun soutien de la part de sa famille et de la communauté locale, les deux jeunes femmes se lancent dans un périple semé d’embûches jusqu’à New York.

Never Rarely Sometimes Always
Etats-Unis, 2020
De Eliza Hittman

Durée : 1h41

Sortie : 19/08/20

Note :

JEUNE FILLE TOUT EST DEVANT

L’Américaine Eliza Hittman avait déjà réussi deux fois ce tour de passe-passe que de réaliser des films à première vue très archétypaux (les récits d’apprentissages It Felt Like Love et Beach Rats), mais qui, par la finesse de son écriture et la sensibilité de sa mise en scène, donnaient tous les deux le sentiment de regarder ces sujets-là pour la première fois. C’est à nouveau le cas ici avec Never Rarely Sometimes Always, dont la jeune héroïne est confrontée à une grossesse non désirée. Bien des formules de ciné indé américain auraient pu s’appliquer au long métrage mais Hittman à nos yeux les détourne avec le talent qu’on lui connaît.

Never Rarely Sometimes Always s’ouvre par un spectacle de fin d’année durant lequel des élèves montent sur scène pour partager leurs talents artistiques. Autumn (Sidney Flanigan, prodigieuse) chante une chanson, mais la salle est partagée entre ceux qui restent impassibles et ceux qui ne la prennent pas au sérieux. Elle ouvre pourtant son cœur mais qui peut bien entendre ses tourments ?

Hittman décrit le poids terrible que l’on fait peser sur les épaules non seulement des femmes mais des jeunes filles. Son sujet central est fort, et la réalisatrice confie que les embuches à l’avortement outre-Atlantique sont devenues encore plus grandes entre les prémices du projet et son exécution. Lorsque la cinéaste s’attarde sur le voyage qu’effectuent Autumn et sa cousine Skylar, c’est parce qu’il est réellement question d’un périple, d’une mini-odyssée pour que cette jeune femme puisse, aux États-Unis, avorter dans de bonnes conditions.

On traverse un décor rural jusqu’à la mégalopole, on traverse aussi un décor émotionnel. La caméra d’Hittman, via son excellente directrice de la photographie Hélène Louvart, est une caméra de proximité. Celle-ci colle au plus près de ses personnages et de leurs émotions ; chez Hittman, les sentiments sont autant traduits par l’écriture et l’interprétation que par la caméra. New York n’est qu’un magma lumineux tandis que la caméra reste proche de ses héroïnes. Cette fuite se fait en secret et dans le silence qui va avec. De même, la complicité entre Autumn et Skylar se passe de dialogues explicatifs – cette intimité, cette sororité là n’ont pas besoin d’être articulées.

La caméra d’Hittman a le sens du détail, comme lorsque lors d’une échographie on promet à Autumn d’entendre « le son le plus magique », celui de son futur bébé, et que la jeune femme détourne le regard. L’avortement est une « dure vérité » comme l’indique le titre d’une vidéo sensationnaliste anti-IVG qu’on lui diffuse. Mais la dure vérité qu’Hittman filme est tout autre. Lors d’une scène centrale qui fait basculer le long métrage, Autumn se rend dans un centre où elle doit répondre à un QCM dont les réponses donnent son titre au long métrage (jamais, rarement, souvent, toujours). La séquence est d’abord froide et procédurale, mais quelque chose se fissure : ce moment de cinéma est aussi tétanisant qu’émouvant. Voilà une remarquable richesse émotionnelle chez une cinéaste qui parvient à nous faire partager l’expérience de la solitude en même temps que l’expérience de la chaleur humaine : un mélange rare et extrêmement précieux.

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par Nicolas Bardot

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