Festival d’Annecy | Critique : N°7 Cherry Lane

Dans le Hong Kong politiquement complexe de la fin des années 60, un étudiant en littérature se retrouve plongé dans un triangle amoureux entre la jeune femme à qui il donne des cours particuliers et la mère de celle-ci.

N°7 Cherry Lane
Hong Kong, 2019
De Yonfan

Durée : 2h05

Sortie : –

Note :

PLAISIRS IMPOLIS

Connaissez-vous Yonfan ? Le réalisateur hongkongais, qui vient de fêter ses 72 ans, a tourné une quinzaine de films depuis le milieu des années 80, dont certains avec Maggie Cheung, Chow Yun-Fat, Sylvia Chang ou Shu Qi. Il reste pourtant plutôt méconnu chez nous mais peut-être que ce No.7 Cherry Lane, primé à la dernière Mostra de Venise, permettra de le redécouvrir. Ce long métrage est une première pour Yonfan qui signe ici un film d’animation. Le réalisateur en profite en exploitant tout ce que l’animation permet en matière d’accentuation, de dramatisation et de distanciation avec le réel.

N°7 Cherry Lane raconte un très étrange triangle amoureux dans le Hong Kong de 1967. On parlait de ce que l’animation autorise : ici, tout est exacerbé, les sentiments comme le sexe. Le film effectue un drôle de grand écart entre une apparence élégante, raffinée, et un contenu pourtant cru, qui n’a pas peur d’un délicieux mauvais goût. Quand on se rend au N°7 Cherry Lane, on s’attend à un mélodrame lustré et chic, mais le film laisse davantage de place au camp (au too much, au délire iconoclaste, aux pâmoisons kitsch) et au queer (avec entre autres une über-érotisation masculine aussi inédite qu’inattendue).

Le décor, le contexte, sont parfaitement sérieux et réels – il s’agit d’émeutes survenues à l’époque à Hong Kong, 52 ans avant les actuels mouvements. Mais Yonfan choisit de traiter ce réel par la fantaisie. Le style visuel fonctionne sur une rupture entre le réalisme (du décor) et la caricature (des traits, de l’animation). Les personnages déambulent et flottent comme léthargiques dans ce qui ressemble à une vertigineuse rêverie. Une rêverie de cinéma – on se promène dans Les Chemins de la haute ville ou dans Le Lauréat – ou une rêverie de littérature – on se perd dans les labyrinthes de A la recherche du temps perdu ou du Rêve dans le pavillon rouge.

Film dans le film, roman dans le film, N°7 Cherry Lane donne une adresse précise pour qu’on s’y égare. Ce plan, qui arrive très tôt dans le film, d’un avion qui laisse une ombre gigantesque sur la ville donne une juste impression du jeu d’échelles dans le long métrage. Lors d’une séquence superbe, l’héroïne marche, avance, tandis que la grande Histoire se déroule autour d’elle, crayonnée. L’artifice est la substance dans N°7 Cherry Lane, qu’il s’agisse de la vérité historique ou de celle des sentiments. Et on se plonge avec une grande jubilation dans ce tout-romanesque qui ne ressemble à rien de connu.

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par Nicolas Bardot

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