Kinopolska 2019 | Critique : Monument

Des stagiaires en hôtellerie arrivent sur leur nouveau lieu de travail. A l’hôtel, ils ne sont que des numéros interchangeables. Les stagiaires effectuent les tâches qui leur sont attribuées. Ils déambulent dans l’hôtel où l’atmosphère est de plus en plus étrange. Qu’est-ce qui se passe exactement en ce lieu ?

Monument
Pologne, 2018
De Jagoda Szelc

Durée : 1h48

Sortie : –

Note :

AGE DIFFICILE OBSCUR

C’était bouche bée et les yeux écarquillés qu’on avait découvert Jagoda Szelc (lire notre entretien) avec son incroyable premier film, Tower. A Bright Day. C’était l’an dernier à la Berlinale, et on se demandait de quel chaudron de sorcière avait bien pu sortir ce conte inquiétant rempli d’une force magnétique. La cinéaste polonaise n’a pas chômé puisqu’elle a vite enchaîné avec ce second long métrage, à l’origine singulière, car il s’agit en effet d’un projet de fin d’études pour les élèves d’une école d’art dramatique. Or, de ce point de départ, Jagoda Szelc fait justement le cœur de son film.

Un groupe d’élèves qui ne se connaissent pas arrive de nuit dans un hôtel isolé où ils sont supposés faire un stage en immersion. En devenir, ils sont là pour se construire un avenir, mais c’est comme si un poids gigantesque et inquiétant leur pesait déjà sur les épaules. Qui dit monument dit héritage historique, mais de quel monument est-il vraiment question ici ? S’agit-il de l’hôtel en lui-même, avec son architecture sévère qui en fait un trop imposant vestige du passé ? S’agit-il de l’étrange structure dans le jardin (Sculpture abstraite ? Bunker ? Monolithe à la 2001 ? ), qu’on n’arrive jamais à nettoyer pour de bon?

« 1,2,3, la sorcière te voit » chantent les ados pour tromper l’ennui. Jagoda Szelc utilise les codes du conte, faisant de ces élèves des orphelins prisonniers dans les bois. Avec ses longs couloirs déserts où résonnent des bruits mystérieux, l’hôtel ressemble à un sous-marin abandonné. Plongé dans une nuit permanente, ce dernier prend d’ailleurs des airs de l’Overlook de Shining. Et comme dans ce dernier, la transe magnétique qui émane du bâtiment va faire remonter le refoulé à la surface. On se confie entre deux lessives, on livre ses souvenirs, ses désirs, mais sans qu’on ne s’en rende bien compte la fièvre monte et on se met à se raconter les histoires les plus tordues et violentes possibles, comme si une violence intériorisée demandait à surgir entre ces murs.

Isolés par petits groupes, les élèves ne se croisent pour ainsi dire presque pas. Livrés à eux-même, ils sont contraints à effectuer les mêmes tâches en boucle, parfois jusqu’à l’absurde. En guise d’apprentissage, ils sont retrouvent confrontés aux aspects les plus aliénants du monde du travail : l’ennui et la répétitivité qui rendent fou. Or la répétition est la nature-même du fascisme, nous disait Lav Diaz dans une récente interview. Prisonnier d’un mécanisme perpétuel, arborant tous le même uniforme et le même prénom sur leur badge, les élèves/travailleurs sont pris dans un engrenage de perte d’identité.

Métaphore du monde du travail ? De l’age adulte ? D’un héritage politique (a-t-on raison d’imaginer un parallèle avec le refoulé national de Zombi Child ?) ? Jagoda Szelc ne nous donne pas de réponse, elle nous hypnotise et nous sidère. Comme dans Tower. A Bright Day, elle met en scène des personnages contaminés à l’extrême par le gouffre et le vide devant eux. Cette perte de repère, cette déshumanisation, elle les met en scène avec un panache vénéneux.

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par Gregory Coutaut

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