Critique : To Kill the Beast

A la frontière de l’Argentine et du Brésil, Emilia, 17 ans, recherche ardemment son frère disparu. Son périple la mène dans l’hôtel de sa tante au coeur de la jungle tropicale, hanté par une bête monstrueuse, qui, selon les mythes et croyances locales, serait l’incarnation protéiforme d’un esprit diabolique. Entre réalité et mythe, culpabilité et éveil de sa sexualité, Emilia va devoir affronter son passé.

To Kill the Beast
Argentine, 2021
De Agustina San Martín

Durée : 1h19

Sortie : 13/07/2022

Note :

DOMICILE STYX

To Kill the Beast s’ouvre sur une pleine lune planant au-dessus d’une jungle endormie. D’une chaumière discrète semble s’échapper une lointaine ritournelle. La jungle en question, c’est celle qui se situe à cheval sur l’Argentine et le Brésil. C’est là que débarque Emilia, à la recherche de son frère disparu. Mais cette jungle, c’est aussi une forêt de rêves, lieu magique plein de brumes et de pénombres, où le contour des choses et des êtres s’évapore tel un mirage. Emilia a bien été prévenue : « ici, la frontière n’est rien d’autre qu’une ligne sur une carte ». Gare à qui s’approcherait trop près de la limite entre les choses…

Dans ce décor de conte, Emilia retrouve sa tante Inès, tenancière d’un hôtel abandonné, situé à l’orée même de la forêt comme un dernier refuge avant l’inconnu. Dans ce rôle tout droit sorti d’un Grande Dame Guignol, on retrouve la charismatique Ana Brun, prix d’interprétation à Berlin en 2018 pour Les Héritières. La butch Inès s’occupe pourtant de son hôtel avec fierté, comme si c’était là son immuable destinée. Faite pour n’héberger que des voyageurs en transit, sa bâtisse fantomatique est pourtant désormais vide, ouverte aux quatre vents et pleine de bâches qui peinent à recueillir l’eau de pluie. Dans cette maison qui pourrait tout aussi bien ne pas avoir de murs, la seule autre locataire est une autre jeune femme, arrivée justement d’on ne sait où. La moiteur de la jungle environnante est contagieuse, car à chaque fois qu’Emilia la regarde, elle a chaud…

Tout pourrait arriver dans cette maison, tout pourrait arriver dans cette jungle, dans l’esprit d’Emilia et dans le film entier. C’est comme si, plutôt que de privilégier une trame narrative cadenassée, To Kill the Beast ouvrait grand les portes et fenêtres pour se laisser balayer par un vent chaud, sexy et mystérieux, pour la plus grande fascination de nos yeux écarquillés. L’Argentine Agustina San Martín (lire notre entretien), dont c’est ici le premier film mais qu’on avait déjà croisée en tant que chef-opératrice sur El futuro perfecto (primé à Locarno en 2016) filme ici la peau, beaucoup de peau. Mais ce n’est seulement cela qui rend son film si incroyablement sensuel, sensoriel même.

Agustina San Martín fait preuve d’un talent sans pareil au moment de travailler sur l’environnement sonore et sur la lumière. Plus les frontières entre fantastique et réalité s’évaporent, plus l’intrigue devient sibylline, plus la lumière semble vibrer, être prise de pulsations, comme un cœur de bête qui bat de désir. Le temps d’un plan sorti d’un songe, la caméra est placée directement sur le dos d’un buffle, dont le pas lent est accompagné de percussions discrètes mais hypnotiques. Ainsi rôde To Kill the Beast : chaque détail et chaque scène vient ouvrir encore plus grand la porte du rêve et vient nous faire pénétrer dans l’inconscient de cette jungle enivrante. Un lent voyage d’une beauté à tomber à la renverse.

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par Gregory Coutaut

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