A voir en ligne | Critique : Manta Ray

Près d’une côte où des réfugiés Rohingyas ont été retrouvés noyés, un jeune pêcheur thaïlandais trouve en pleine forêt un homme blessé et inconscient. Il lui porte secours et le soigne. L’étranger se révèle être muet. Il le nomme Thongchai et lui offre son amitié…

Manta Ray
Thaïlande, 2018
De Phuttiphong Aroonpheng

Durée : 1h45

Sortie : 24/07/2019

Note : 

RAY OF LIGHT

Voyez-vous souvent des premiers longs métrages qui vous subjuguent dès le premier plan ? L’imaginaire visuel de Manta Ray nous rappelle dès les premiers instants au bon souvenir des visions stupéfiantes qui peuplent les jungles d’Apichatpong Weerasethakul. D’abord directeur de la photographie pour d’autres cinéastes, le Thaïlandais Phuttiphong Aroonpheng (lire notre entretien) signe ici son premier long métrage en tant que réalisateur. Celui-ci, porté par un fort buzz, a enchainé la Mostra de Venise et les festivals de Toronto, San Sebastian et Busan avant de faire sa première française au Festival des 3 Continents. Pas étonnant que le film n’ait manqué aucun des grands rendez-vous de la rentrée et de l’automne tant on a le sentiment d’avoir affaire à une authentique révélation.

Le héros de Manta Ray, un pêcheur, recueille chez lui un homme exsangue et blessé. On imagine qu’il s’agit d’un Rohingya, minorité ethnique persécutée et massacrée. Phuttiphong Aroonpheng ne dissipe pas immédiatement le mystère autour de ce protagoniste muet, ramené à la vie et qui doit tout réapprendre, ne serait-ce que respirer. On parle de cette forêt remplie de cadavres venus d’on ne sait où, et qui évoque en creux les fosses communes découvertes en 2015 à la frontière entre Thaïlande et Birmanie. Sur le bourdonnement sonore de la forêt, le cinéaste a commenté : « J’ai enregistré les voix de réfugiés rohinga en Thaïlande. Leurs voix ne disparaitront pas et ne seront pas oubliées ». Si Manta Ray ne peut être réduit à un propos politique, il n’oublie pas que l’imaginaire et la poésie n’y sont ni étanches, ni déconnectées.

Le récit de Manta Ray prend la forme séduisante et sibylline d’une rêverie fantomatique. Les morts reviennent comme ils sortiraient de terre ou de l’eau, les identités se brouillent… et le film, avec raison, refuse de tout expliquer. Outre Weerasethakul, Aroonpheng cite David Lynch parmi ses influences, plus particulièrement Eraserhead. Il y a dans Manta Ray cet insaisissable mélange de fascination et de menace. La forêt semble magique, elle est pourtant jugée effrayante. Manta Ray, derrière la violence de son histoire, parle aussi pourtant d’un ré-enchantement du quotidien, à travers la douce relation qui se noue entre les deux héros. Une danse immobile et scintillante dans une cabane, une gigantesque et rayonnante grande roue, l’eau parcourue de belles lumières… Et pourtant, dans les bois, les scintillements surréels ressemblent à des âmes perdues qui hantent les lieux.

On peut, en plus d’apprécier la grande inspiration formelle dont fait preuve Phuttiphong Aroonpheng, souligner le travail des monteurs (dont l’inestimable Lee Chatametikool, collaborateur de Weerasethakul mais aussi d’Anocha Suwichakornpong et Aditya Assarat) et de Snowdrops à l’atmosphère sonore dans cette imprévisible expérience hypnotique. Celle-ci possède différentes lectures (politique, poétique ou queer), mais chérit ses énigmes et images manquantes avec une grâce troublante et un sens du merveilleux. Vivez-la dès que vous le pouvez !


>>> Manta Ray est visible en ligne sur UniversCiné

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par Nicolas Bardot

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